Lun 23h40, 1531m : arrivée à Cogne ; comme à Valgrisenche,
j’ai droit à un pin’s avec le nom de la base vie sous le logo de la course.
Sympa, je vais en faire la collection. Je mange rapidement, je fais mon sac
pour le lendemain, je change la batterie de mon appareil photo et les piles de
ma frontale et je vais me coucher après avoir retiré mes chaussettes pour
laisser sécher mes pieds douloureux. J’ai une grosse plaque de peau blanche
sous chaque avant pied. Mais une fois mes pieds secs au réveil, il ne reste
plus que deux petites ampoules.
Mar 5h00, départ de Cogne après un petit déjeuner de vrai
montagnard : 2 tartines couvertes de Nutella, 3-4 bouts de fromage, une
tranche de jambon, un thé et une pomme que j’ai mangée en quittant la base vie.
En mangeant, j’en ai profité pour lire les nombreux SMSs de soutien de ma famille,
mes amis et collègues. Mille mercis à eux pour leur support. Dommage que je
n’ai pas pensé à prendre quelques batteries de rechange pour pouvoir laisser mon
téléphone allumé pendant toute la course.
J’ai 20 minutes d’avance sur mon horaire. Je me sens
super bien, alors je progresse en petites foulées sur le bitume de Cogne.
Erreur … euphorie du matin. Rappel de mon genou gauche : légère douleur
sur le côté ; alors je marche pour m’échauffer comme j’aurais dû.
Au programme de cette 3ème randonnée :
une seule montée et une seule descente. Facile non ? Terminé le bizutage ?
Direction la fenêtre de Champorcher à 2827m, soit 1300m d’ascension répartis
sur 16km. La suite ? oh… juste une petite descente de 2500 mètres …
répartis sur 30 km. Aujourd’hui je ne suis plus en recherche de dénivelé mais
en recherche de distance, ce qui n’est vraiment pas mon point fort.
Mar 6h30, 1830m : ravitaillement de Goilles. Je suis
surpris d’avoir déjà couvert 5 km, vu que de nuit je ne vais pas bien vite et
que j’ai fait une longue pause technique, si vous voyez ce que je veux dire.
J’ai eu droit à un thé sucré et un biscuit. Puis la même chose à nouveau.
Je repars sur un sentier en sous-bois le long d’un
torrent. Le soleil se lève petit à petit et me permet de voir de nombreuses
petites cascades. C’est magique.
Mar 7h00, 2000m : je suis toujours dans les bois et
j’entends le torrent. Le sentier est large, sinueux et presque pas rocheux. Je
rattrape un coureur Italien tout de blanc vêtu. Il n’a dormi qu’une heure à
Cogne alors que j’ai dormi 4h. La différence de fraicheur entre nous deux se
fait vite sentir, alors je pars devant.
Mar 7h30, 2150m : je sors du bois ; la zone
d’alpage commence dans un petit coin de
paradis : jonction de rivière non loin de ce petit chalet isolé au toit
d’ardoise que j’ai pris en photo. C’est si paisible ici ! Ce serait un
lieu de vacances idéal.
Mar 8h51, 2450m : j’ai suivi la rivière pendant une
heure dans cet alpage certes montant, mais aussi vallonné. Au passage sur un
pont d’une dizaine de mètres de long, nous quittons le parc national du Grand
Paradis. Nous passons sous cette ligne électrique haute tension qui remonte la
vallée depuis un moment et gâche un peu le paysage. C’est presque de l’humour
de positionner une telle ligne à la frontière du Paradis.
Je débouche sur une piste qui monte au refuge. Je repasse
sous cette ligne électrique qui crépite tellement fort qu’on ne peut que
s’inquiéter des ondes que cela provoque et de l’effet sur notre organisme et
sur celui des animaux. Je me sens bien mais je trouve le chemin un peu
long : il n’y a pas assez de dénivelé à mon goût. Je devrais pourtant être
content de faire de la distance sans trop d’effort, mais c’est moins mon truc.
Alors je pense à mon heure d’arrivée à la prochaine base vie, à comment je vais
m’organiser pour y passer le moins de temps possible et j’aimerais bien avoir
le profil de la « prochaine randonnée » qui m’attend dans mon sac
jaune, dans le sachet Ziploc étiqueté « BV #3 ». Mais non, je me suis
promis que chaque section de cette course serait pour moi une randonnée
séparée. Et peu importe mon heure d’arrivée à la base vie, tant qu’elle me
permet de finir cette course. J’ai du mal à oublier mon esprit compétitif
vis-à-vis des autres coureurs. Alors je me fais un peu la morale : peu
importe le rythme des autres ; je fais cette course avec eux et non contre
eux. Mon seul ennemi, c’est moi-même. D’ailleurs je commence à vraiment croire
que je vais arriver à Courmayeur dans les temps.
Mar 8h56, 2534m : je pose mes bâtons au refuge Sogno.
Son nom complet est « Sogno de Berdzé au Péradza ». Berdzé signifie
berger en patois valdôtain. C’est en fait Monsieur Berger qui l’a construit,
sur la demande de la famille Sogno. J’entre
dans ce refuge qui a très bonne réputation pour son accueil et je ne suis pas déçu.
La maison offre le ravitaillement le plus riche de la course : soupe très épaisse
avec des pois chiche, polenta et omelettes coupés en cube, tartes ou quiches,
fromages, jambon, fruits, plusieurs
sortes de tartes aux fruits, panier de fruits, jus de fruit, thé, café, coca,
vin, j’en oublie, c’était un incroyable festin ! Petites tables comme dans
un restaurant. J’y suis resté 17 minutes, plus que souhaitable dans une
ambiance aussi chaude, chaleureuse et confortable. D’ailleurs j’ai remarqué au
moins 6 ou 7 coureurs/coureuses qui étaient déjà bien installés à manger et à
discuter quand je suis arrivé, et qui ne montraient toujours pas signe de
vouloir reprendre leur chemin quand je suis reparti. Danger coureur scotché …
Mar 9h11 : c’est reparti pour l’ascension des
300 derniers mètres du col de la fenêtre de Champorcher. Ça monte sec très
rapidement après le refuge sur chemin de terre étroit dans la rocaille. Les
lacets ne sont pourtant pas très serrés. La pente permet de se réchauffer
rapidement. Pourtant à 2700 je passe à côté d’une coureuse allongée sur une
partie un peu plus large du chemin (1 mètre). Elle dort. Son sac l’empêche de
rouler la pente qui borde le chemin. Je passe sur la pointe des pieds pour ne
pas la réveiller et je fais une photo après le lacet suivant, quand je reviens
à sa hauteur. C’est quand même bizarre qu’elle n’ait pas choisi de se reposer
au refuge.
Mar 9h46, 2827m : j’atteins le col de la fenêtre de
Champorcher, sous le crépitement de ma copine la ligne électrique haute
tension. J’ai trente minutes d’avance sur mon planning, ce qui n’est rien
comparé au temps que je gagnais hier sur les montées beaucoup plus raides. Cela
confirme que la recherche de dénivelé me convient mieux que la recherche de
distance.
Sommet du bas : 330 m
Nous entrons dans le parc régional Mont Avic. Le ciel est
bleu mais avec pas mal de nuages blanc (non menaçants). La visibilité est très
bonne. On voit bien le début de nos 30 km de descente, notamment un petit lac
que je pense être le Lac Noir. Nous commençons la descente sur un chemin
rocailleux avec un peu de vert sur les côtés. Bref, un terrain de haute
montagne adouci.
Mar 10h19, 2550m : je suis au lac Miserin et je me
ravitaille au refuge qui porte le même nom, une des 4 maisons de ce lieu. Je
continue sur une piste facile pour 4x4. Ma stratégie pour descendre ces 2500m
de D- consiste à les diviser en 5 sections de 500m. Je compte faire une pause
allongée après chaque section.
Mar 10h29 : j’ai vraiment mal à la plante des pieds,
surtout au pied gauche. Pensant que c’est probablement parce-que mes pieds
glissent trop dans mes chaussure, je serre les lacets de ma chaussure gauche,
mais je ne touche pas à ma chaussure droite qui me servira de témoin pour
mesurer l’efficacité de ma solution. Cinq minutes plus tard, force est de
constater que ma « solution » n’est pas satisfaisante : j’ai
davantage mal au pied gauche alors que la douleur à mon pied droit est stable.
Je desserre donc les lacets de ma chaussure gauche davantage que ma chaussure
droite. Bingo ! Moins mal. Je dessers donc la droite aussi, sachant que le
travers de ce choix est que mes doigts de pied risquent fort de taper au bout
des chaussures me causer des problèmes d’ongles. Un compromis pragmatique n’est jamais parfait…
Mar 11h20, 2375m : j’ai terminé la première section
de 500m. J’ai de la chance : je trouve rapidement un rocher avec une
surface plate de 2m x 2m. Je m’assois, retire chaussure et chaussettes et
j’allonge mes jambes sur la partie haute de la section plate pour que la
circulation de mon sang soit aidée par la gravité. Autre chance : le
soleil me chauffe puisqu’il vient de sortir de derrière un nuage. Je sors de
mon sac à dos ma réserve alimentaire. J’y mets des choses inhabituelles qui me
font envie : noix de cajou, pretzl, gâteaux PIMs, cacahouètes pralinés. Je
mange un peu et je mets 2 barres énergétiques dans les poches de mon collant
3/4. Huit minutes se passent, j’inspecte mes pieds qui sont déjà secs. La
vitesse de séchage me surprend. Je vois bien cette zone de peau blanche de 8 cm
par 3cm sous les mes deux avant pieds, ainsi que la petite ampoule en plus du
côté gauche. Je masse mes pieds et je les NOK. Ensuite je remets mes
chaussettes en prenant soin qu’il n’y reste ni cailloux, ni poussière, ni brin
d’herbe, ni plis. Idem dans les chaussures que je lace très lâchement.
Je décide de tenter une autre expérience : je sors
mon lecteur MP3 du sac. En effet je ne cours jamais en musique. Je n’en ai
juste jamais besoin. Mais sur les conseils d’un ami, je me suis fait une petite
play liste et j’ai mis ce lecteur MP3 dans le Ziploc de la base vie #2 pour le
3ème jour, anticipant que ces 30km de descente douce allaient être
longs.
Je repars tout frais, mais je note que cette pause a duré
14 minutes. Il faudra raccourcir la prochaine. Marcher en montagne au son de
musique qui donne envie de bouger est une expérience intéressante. J’essaie de
ne pas me caler sur la cadence des différents morceaux, mais sur la mienne. Je
n’entends plus les bruits de la montagne. Je croise des gens mais je ne les
entends que très faiblement me saluer ou m’encourager j’imagine. Bref, certes la
musique énergise, mais il y a des inconvénients très gênants pour moi qui aime
la nature et la compagnie humaine...
Je passe par un joli petit hameau de maisons en
pierre. Fini la caillasse de haute montagne, vive le vert des alpages et des
sapins. Ça tombe bien car depuis 11h30 les nuages ont disparus et le soleil
Cogne ! (je suis un accro des jeux de mots)
Mar 12h50, 1580m : depuis Dondena, nous longeons la
rivière Torrent Ayasse. Cette section du parcours est très aquatique :
cascades, torrents, petits et grands ponts. J’adore ! Mais … le chemin est
aussi très rocheux ; il prend la forme de plusieurs longs escaliers
naturels avec des marches pouvant atteindre 40 à 50 cm de haut. Réparti en
plusieurs sections sur un total avoisinant les 200m de dénivelé, ça fait très
mal à mes genoux et à mes pieds, ce qui me mine le moral et m’oblige à faire de
nombreuses pauses. A tort, j’essaie d’éviter la douleur de mes ampoules, ce qui
fini par me faire bien mal au tendon qui passe sous la voute plantaire à force
de crisper mon pied. Je suis en plein doute sur mes capacités de terminer cette
course. Je me concentre pour détendre mes pieds et accepter la douleur des
ampoules. En fait, je vise mes ampoules à chaque pas, tel un masochiste. Je
n’ai pas le choix : il faut à tout prix éviter les tendinites !
Mar 13h04, 1450m : arrivée à Chardonnay, véritable
retour à la civilisation puisqu’il s’agit d’une vraie petite ville touristique au
milieu de ce paradis aquatique. Il y a tout ce qu’il faut pour un agréable
séjour en famille.
En arrivant dans la tente du ravitaillement, j’ai vraiment
très très mal aux pieds et le moral dans les chaussettes. Je remplis quand même
mes 2 gourdes, mon premier geste à chaque arrivée dans un ravitaillement. Puis
je prends 2-3 choses à manger et je m’assois. Il se trouve que je suis à côté du
rideau de l’infirmerie où une fille très très bavarde se fait traiter ses
ampoules aux pieds. En écoutant le dialogue, je décide qu’il est temps de faire
confiance au corps médical. Mon tour arrive. Je veux savoir s’ils vont percer
mes ampoules. La réponse est négative. Mes ampoules ne sont pas assez mûres, disent-ils.
Je demande si les pansements qu’ils vont me mettre peuvent être retirés et
remplacés facilement. Ils me répondent que oui ; il faut les refaire après
une douche. Ouf me dis-je, ce qu’ils me font est réversible. Cela me suffit
pour être rassuré. Dans le pire des cas je peux tout retirer et continuer la
course.
Mar 13h50, je repars dans ce paradis aquatique. Encore
1100m de D- répartis sur 19km. Je conserve mes 30 minutes d’avance sur mon
horaire mais je n’ai pas fait la sieste que j’avais prévue. Mes pieds me font
moins mal et les pansements me donnent des sensations de glissement « bizarres ».
J’ai l’impression qu’ils glissent et qu’ils ne vont pas tenir longtemps. Je
décide que tant qu’ils ne me gênent pas, je ne regarde pas et je n’y touche
pas. Je suis reparti avec mon pote Alain qui m’a rejoint au ravitaillement. Il
a aussi des ampoules, mais il me semble plus solide que moi. Il faut dire que
j’ai vraiment le moral dans les chaussettes.
Nous passons une série de ponts. Je prends pas mal de
photos, puis je rattrape Alain dès que le chemin monte un peu. Par contre, j’ai
bien de la peine à le suivre sur le plat et en descente. Sa conversation ainsi
que le décor magnifique m’aident à franchir ce passage à vide.
Mar 15h30, 791m : nous arrivons au ravitaillement de
Pontbosset. Nous y rencontrons une bénévole française très sympa qui vit en
Italie depuis plusieurs années. Remplissage d’eau, 2-3 bouts de fromage et de
saucisson, deux bouillons + biscuits salés, une banane et pour finir, un coca.
J’essaie de ne pas m’assoir trop longtemps car après, bonjour les douleurs aux
pieds.
10 minutes plus tard, Alain et moi repartons ensemble
bien ré-énergisés. Il me tire encore dans les descentes et sur le plat, puis je
fais ma part de travail dans les montées. Nous dépassons quelques coureurs
durant les 2 heures qui suivent et prenons aussi le temps de faire quelques
photos. Merci à lui pour son aide précieuse ! Sa présence m’a fait gagner
au moins 30 minutes.
Mar 17h40, 330m : nous arrivons dans l’agglomération
de Donnas, mais savons qu’il nous reste presque 4 km de marche avant
d’atteindre le ravitaillement. Nous commençons par entrer dans Hône. Joli pont
pavé et constructions au bord de l’eau. Alain pars devant. J’entre dans le
quartier de Bard. Dur dur de ne pas s’arrêter au bar devant lequel je marche. Ensuite,
descente sèche pour longer un canal et remonter vers les remparts de Donnas.
A 18h23, après 40 minutes de bitume, je débouche enfin
sur longue avenue avec pas mal de trafic. C’est dur pour le moral. Je prie pour
ne pas avoir à marcher jusqu’à la fin de cette avenue ou sinon j’en ai encore
pour 30-40 minutes ! Ce serait bien si l’organisation nous indiquait la
distance restante pour atteindre le ravito.
Mar 18h29,
330m : nous venons de tourner à gauche et … je vois le ravitaillement à
100 mètres. Quel soulagement ! Moi qui pensais que cette 3ème section de
la course allait être cool ! J’ai toujours 30 minutes d’avance sur mon
horaire et 7h d’avance sur la barrière horaire.