Préparatifs


Tor à raison

Récit de la TOR des GEANTS 2012

Hervé DESCHAMPS




J’ai entendu parler de la Tor des Géants en 2011. Je me suis lancé en 2012, malgré une opération du ménisque gauche le 28 février. Avant l’opération j’ai demandé au chirurgien ce qu’il pensait de tenter une telle épreuve 6 mois après l’opération. Il n’a pas eu l’air impressionné et … il ne me l’a pas interdit. J’espérais aussi, qu’en lui parlant de mon projet, il apporterait un soin particulier à son travail.

J’ai donc commencé cette saison avec le sentiment d’avoir davantage de chances d’échouer que de réussir. Ce que j’adore ! Après tout il n’y a pas de honte à échouer. Il faut tenter ; parfois on réussi ; parfois on échoue, et alors ? Tant que l’échec signifie seulement l’abandon sur une course, ce n’est pas bien grave non ?

Cela fait 13 ans que je me fais mes plans d’entrainement tout seul, à ma sauce. Chaque année je tente quelque-chose de neuf, basé sur mon expérience des années précédentes. Pour 2012 je n’ai prévu que 3 évènements : la course Verbier St Bernard (110 km, 7000 D+) en début juillet, le GR20 Nord en 7 jours de randonnée en fin juillet et la Tor des Géants. Avant et après chaque évènement : une semaine de repos complet (pas de sport du tout).

Les 2 premiers tests de la saison s’étant bien passés, je commence les préparatifs pour la Tor. Les deux semaines de repos complet avant la course commencent à me paraître longues après 10 jours. J’ai des petites douleurs aux genoux en journée.

Pendant cette période de repos je lis tous les récits que je peux trouver, je me fais un profil de course par étape (basé sur les traces GPX disponibles en lignes) et je prépare le contenu de mon « sac jaune / sac suiveur » que l’organisation de la course mettra à ma disposition à mon arrivée dans chaque base vie. J’organise le contenu de ce sac de façon à ne pas avoir à réfléchir à chaque base vie et à ne rien oublier d’important. 





Habitant à Annecy, je n’ai que 1h30 de route à faire et j’arrive à Courmayeur samedi matin à 10h. Je m’installe au camping Monte Bianco, je mange et je fais une petite sieste. Le retrait des dossards commence à 14h. J’arrive à 15h pensant qu’ainsi j’éviterais de faire la queue. Pas du tout, il me faudra attendre patiemment 1h30 avant de prendre mon dossard et mon sac jaune. J’apprends qu’il fallait arriver un peu avant 14h pour éviter la foule.

Le briefing est annoncé à 19h30. Je repars donc au camping pour remplir au mieux mon sac suiveur. J’y mets presque tout. Par manque de place, je décide de renoncer à quelques biscuits qui prennent trop de volume et à mes savates de douche dont je peux me passer. Je n’ai plus rien à faire et je me trouve un peu stressé … je pense trop à la course, à ce que j’aurais pu oublier, si je vais être à la hauteur du défi. Pour me changer les idées, je m’enferme dans ma camionnette et je regarde un film : Hunger Games. Il s’agit aussi d’une épreuve physique dans la nature, sauf qu’une seule personne survivra … idéal pour le mental !

Le briefing en Italien, Français et Anglais dure une petite heure. Ambiance de folie. On nous parle beaucoup de météo mais pas assez du parcours à mon goût. Par exemple, de ces longues sections de bitume à Cogne et à Donnas. Ou encore des refuges où il est possible de s’allonger et des règles à suivre.

Je ne reste pas pour la pasta party; je préfère manger tranquille au camping. Bref, 21h30 : dodo.

Réveil à 6h du matin. Je me suis réveillé plusieurs fois pendant la nuit, ce qui est très rare chez moi. La pression … Je vais vite sur le parking du centre sportif pour être certain d’y trouver une place de parking pour la semaine. Je regarde un autre film pour me détendre : blanche neige qui dois dormir seule dans la forêt maudite, sans couverture… J’espère que je n’aurais pas trop froid pendant la course. J’ai tout ce qu’il faut : 2 polaires de course, 1 polaire de finisher UTMB 2006 et 1 coupe vent. Donc même s’il pleut j’ai du rab. Je déjeune : céréales à l’eau (attention au lait et autres produits laitiers…) et un bon thé bien chaud. A 9h15 je donne mon sac jaune à l’organisation. Il est archiplein. Les filles se moquent. Je leur dit que j’y ai mis mon armoire. Direction la ligne de départ : un petit kilomètre à pied pour s’échauffer.

Courmayeur - km 0

Dim 9h40, 1224m, Courmayeur, Place Abbé Henry : grosse ambiance de fête : costumes, musique, speaker italien surexcité, applaudissements de la foule, hélicoptères. Je reçois des SMS d’encouragement de mes amis. Je réponds et il me vient l’idée de créer une liste de destinataires pour leur envoyer de mes nouvelles de temps en temps pendant la course. J’ai pris mon vieux Nokia qui n’a pas tous mes amis en mémoire. Je fais avec ce que je trouve. A peine terminé … go on est parti ! Enfin ! C’est comme une libération.



Il fait beau : à peine quelques nuages blancs. Ils annoncent des orages lundi ou mardi. Pourvu que la météo ne nous pourrisse pas la course comme sur l’UTMB 15 jours au paravant.

Presque tout le monde court. Je pars tranquille comme prévu : j’alterne marche rapide et course lente. 1.5 km de bitume, une bonne partie sur la Strada Vittoria, on passe sur un pont qui traverse la A5 et on attaque la montée du Col de l’Arp : 1350 m D+ au programme. A l’entrée du chemin nous avons un petit embouteillage. C’est l’occasion de faire une petite pause technique. Je fais la connaissance d’Alain qui commence lentement comme moi. Nous nous croiserons moultes fois durant la course.

A 11h30 je suis avant dernier. Alain est parti devant. Derrière moi il y a un gars bizarre qui fumait un cigare au départ de la course et qui arrive à supporter un K-way par cette chaleur. La Scopa (coureurs balai / secouristes) nous talonne. Je suis serein : je vais bien. Mon altimètre indique que nous montons un peu plus vite que les 500 m D+ / h que je prévoyais comme moyenne pour ne pas me blesser (ma vitesse de pointe étant 1070 m D+ / h sur chemin bien pentu). Légère douleur au genou droit ; je raccourcis un peu ma foulée et ça passe. A surveiller. Il s’agit de mon genou non opéré qui m’avait fait boiter 20 heures pendant ma course Verbier St Bernard 2012. Nous sommes encore dans la zone boisée : pas mal de piste forestière à gravier. Je profite du point de vue sur le Mont Blanc. On voit encore Courmayeur en bas.

Midi sonne. Je suis à 2120 mètres d’altitude. Je me sens bien. Mon cardio varie entre 125 et 140. Je reprends Chris, un américain de Floride qui me raconte que faute de dénivelé, il s’est entrainé en tirant un pneu de 4x4. Il souffle comme un bœuf à cause de l’altitude. Ce sera un des premiers à abandonner à La Thuile. Dix minutes plus tard je rattrape six coureurs sans vraiment essayer. Tout va bien ; j’ai bien géré le départ. Maintenant il ne me reste plus qu’à appliquer ma stratégie de course: prendre chacun des 7 segments de la course séparément; garder une heure de marge sur les barrières horaires et utiliser tout le temps gagné à dormir la nuit pour profiter de la vue en journée.

Passés les 2200 mètres d’altitude, on voit de très loin le col de l’Arp, notre premier col à plus de 2000 mètres d’altitude sur les 25 proposés sur cette course.

Dim 12h53, altitude 2571m : arrivée au col de l’Arp, soit 3 minutes d’avance sur mon horaire prévu … pas mal la précision ! On redescend le long d’une rivière dans le vallon de Youlaz ; alpages, randonneurs, une famille joue avec un cerf-volant, beau ciel bleu : tout va pour le mieux. On court longtemps sur une piste ; ravitaillement à 2000 m, un peu de chemin puis de route forestière. J’entends les discutions d’un groupe de coureurs qui me rattrape. J’accélère … erreur ! Heureusement pour moi, une petite fontaine m’incite à faire une pause. Je vois passer 4 coureurs qui sont en fait des jeunes tous frais qui ne font pas la course. Je me promets à nouveau : « Hervé, tu fais la course avec les autres et non pas contre les autres ; et surtout… à ton rythme. »

A 14h00 commencent 30 minutes de route goudronnée en lacets. Personne avec qui discuter. Puis 10 minutes de chemin en balcon pour rejoindre la Thuile. Ouf ! J’y arrive avec 6 minutes d’avance sur mon horaire. Je m’assois et je mange 4 bouts de pains, 2 soupes, 3 bouts de chocolat, 3 bouts de fromage. Je repars après 14 minutes d’arrêt.



Haute Route #2

C’est ici que nous rejoignons le parcours de la Haute Route #2, dite « Route Naturaliste »,  qui nous fera traverser les territoires du Parc National du Grand-Paradis et du Parc Régional du Mont-Avic. Sur le site officiel de tourisme de la vallée d’Aoste, ce parcours est décomposé en 14 étapes pour les marcheurs :

http://www.lovevda.it/turismo/proposte/sport/escursionismo/alta_via_2_f.asp?tipo=mista&pk_tour=40 

Surprise, contrairement à d’habitude après un ravitaillement, le doute m’envahit. J’ai peur de ne pas tenir le rythme toute la journée. Je ne me suis accordé une baisse de 1 km / h en vitesse horizontale qu’à partir de Planaval que je prévois d’atteindre à minuit. Je n’ai pas beaucoup de marge sur les barrières horaires. Je calcule que j’ai 5 heures de progression de nuit à faire avant de pouvoir dormir. La lutte contre le sommeil n’est pas mon fort. Si je ne tiens pas mon planning, je vais sans doute devoir sacrifier du temps de repos. Allez, ça suffit ! On verra. Je gèrerai chaque jour en son temps. De toute façon cette course est une aventure ; rien n’est garanti… Et je compte bien sur le support moral de mes amis par SMS et sur la pression de me savoir suivi par Internet.

Je fais un bout de chemin avec Philippe, un coureur très bavard, au fort accent Belge. Son frère fait aussi la course. Il est devant. Je suis plus rapide que Philippe en montée, alors après un moment je pars devant en souhaitant que nous nous croisions à nouveau.

Dim 16h00, altitude 1800m, km 24. Dans les bois, nous remontons une rivière que nous traversons plusieurs fois sur des petits ponts en bois. Le chemin est bordé de fougère ; il est facile, très familial. Nous croisons beaucoup de touristes qui nous encouragent « bravi ! bravo ! » Ca devient fatiguant parce-que je me sens obligé de leur répondre. Ce sera le seul jour de la course ou nous en croiserons tant. Petite averse de 3 minutes seulement, juste de quoi nous rafraichir. Le ciel n’a pas l’air menaçant.

Dim 17h00, altitude 2200m. Les arbres se font plus rares. Le début de la zone de haute montagne se fait sentir. J’ai dépassé une équipe de 3 italiens, dont un qui semblait en difficulté. Puis 3 japonais, puis 1 chinois qui faisait une pause pour se restaurer.

Dim 17h46, 2500m, petite pause au refuge Deffeyes, au pied du Passo Alto, 2ème col du jour à 2857 mètres. Météo variable : un peu de gris, puis un peu de soleil. Quelques gouttes de pluie. J’avale un bouillon, un peu de pain et de fromage et je repars après un remplissage rapide de mes 2 gourdes. Le reste de l’ascension reste sur un sentier très rocheux, classique en zone de haute montagne, mais aussi très vert jusque dans les 100 derniers mètres. En traversant l’alpage du Rutor et la combe des Usselettes, je commence à penser à mon organisation à la première base vie ; elle est pourtant encore loin. Prendre une douche, oui, mais avant ou après avoir dormi ? Avantages … inconvénients … j’ai bien le temps de méditer sur cette grande question existentielle.

Je rattrape Claude, dont je reconnais de loin la démarche particulière. Elle me précédait dans la descente du col de l’Arp. Elle va plus vite que moi sur le plat et en descente. Son expérience est énorme: accompagnatrice de montagne, elle y passe donc sa vie et elle a fait un paquet de courses, dont la PTL. Nous apprécions tous les deux le calme par rapport à la foule des randonneurs du bas qui nous encourageaient sans cesse.

18h54 : arrivée au col de Paso Alto. Un coureur sympa prend une petite photo de moi et j’entame les 840 mètres de descente vers Promoud.

Même si les descentes sont toujours plus rapides que les montées, je les trouve toujours plus longues. Pour préserver mes jambes je fais une petite pause de 30 secondes à chaque 100 mètres descendus.

Dim 19h50, altitude 2200m : mes pieds chauffent un peu alors je m’arrête sur un beau rocher plat et je repasse une couche de NOK (crème anti-frottements très efficace). Je remarque alors de petits points noirs sous l’avant-pied gauche (métatarses). A surveiller …

Bonne nouvelle : ça fait dix heures que je cours et je n’ai toujours pas mal aux genoux. Mon allure modérée de début de course et ma foulée raccourcie et économe y sont pour beaucoup je pense. Je m’efforce toujours de progresser sans effort et avec fluidité.

20h10 : ravitaillement rapide à Promoud. J’y croise des regards fatigués. La nuit tombe, je ne m’y attarde pas : gourdes, bouillon, fromage, pain, raisin, go ! Je prends le pas d’un coureur grand et fin, tout de blanc vêtu en Salomon. Nous montons 400 mètres de dénivelé ensemble. Il me paraît increvable mais pourtant il s’arrête pour faire une pause. Je venais juste d’allumer ma frontale car j’aime bien retarder ce moment autant que possible, surtout en montée où ça ne craint rien.

Dim 21h00, altitude 2500 mètres : je rattrape un autre coureur qui baille … finalement, moi qui pense toujours avoir plus de mal que les autres la nuit, il semblerait que je suis dans un bon jour. Mais d’expérience je sais que je ne dois pas trop me couvrir : avoir chaud me coupe les jambes. Je suis donc toujours en maillot manches courtes, mais je porte aussi un bandana autour du cou ; cela protège la zone de la carotide, qui comme la tête et les aisselles est une zone de perte de chaleur importante.

La vue, même de nuit est superbe. Il y a encore quelques frontales de l’autre côté, dans la descente du Passo Alto. Peut-être que l’un d’eux est Philippe, mon pote Belge.

21h22, 2645 mètres : surprise : une main courante bleue en pleine nuit. Je ne vois personne devant ; les gars que j’ai dépassés sont loin. Je me sens un peu seul pour franchir un passage dangereux. Je me lance et trouve que finalement c’était plutôt facile. Je vois des frontales devant pas si loin. Mais l’orage aussi n’est pas loin : nous avons 2 ou 3 éclairs par minutes. Pas de tonnerre. Pourra-t-on échapper au déluge ? Elle est vraiment spéciale cette première nuit. En tout cas ça me tient bien éveillé et même si la température baisse, je me sens très bien. Je dépasse 3 gars ; l’un d’eux vomis…

Dim 21h45, 2829 mètres : je passe le col de Crosaties, avec 2 minutes de retard sur mon planning de course. J’ai « rattrapé » 13 minutes sur la montée, mon point fort quand elle est bien raide comme celle-ci. Je suis toujours en manches courtes alors que tous les coureurs que j’ai repris sont en coupe-vent. Finalement je ne suis pas aussi frileux que je pensais.

Je bascule vers Planaval, 1312 mètres de descente au programme. Je prévois d’y arriver à minuit. Je descends avec deux italiens ; je ne comprends pas ce qu’ils se racontent mais ils sont très bavards ! Nous perdons les basiles … attention vigilance ! Erreur vite rattrapée à trois plus un gars derrière qui nous pointe le chemin. Ca nous évite de revenir sur nos pas jusqu’à la dernière balise, comme le veut la « procédure ».

Dim 23h07, 1980 mètres : je n’ai toujours pas sommeil. Comme beaucoup, je suis moins à l’aise en descente la nuit. J’ai discuté un moment avec Denis, un parisien qui a du mal en descente. Mes genoux me font un peu mal devant, au dessus de la rotule. C’est une douleur de fatigue sans conséquence. Je fais une courte pause, je mange un bout de barre énergétique et je repars en ralentissant  juste un peu.

23h30 : début de 2.5 km de route goudronnée vers Planaval… une marche rapide s’impose pour préserver la machine. Quelques pas de course pour varier. Je me sens très bien et suis un peu surpris de ne pas me faire doubler. Je n’ai toujours pas sommeil et mes jambes sont nickel. Je suis boosté par 4 SMS d’encouragement d’amis qui allaient se coucher et qui m’ont promis de me suivre demain au travail … et oui, demain lundi les gens normaux vont au boulot ! J Il pleut un peu, mais si peu que je reste en t-shirt ; j’ai même eu un peu chaud pendant la descente.

23h43 : arrivée à Planaval. Restauration rapide : gourdes, un bouillon, un thé, pain, jambon, fromage et je vois un Français bavard qui s’élance, alors j’accroche. Après une heure de marche rapide sur piste vallonnée, dont un partie très agréable le long d’un ruisseau, j’arrive à Valgrisenche à 00:52, soit 23 minutes en avance sur mon horaire prévu après presque 14 heures de course. Par contre mon ami Philippe le belge arrive à 04h39 et abandonne.




























Valgrisenche - km 48

Pour cette première base vie, j’opte pour manger (deux plats de pâtes), puis douche, puis dodo pendant 3 heures. Au final je n’ai du dormir qu’une heure et demi puisque la douche m’a trop revigoré et … ces @é%ç3#!@  de coureurs qui déballent et remballent la totalité du contenu de leur sac suiveur dans le dortoir (bruit + lampe frontale) au lieu de le faire dans un autre lieu illuminé et sans dormeurs. Enfin, c’est le métier qui rentre ; je noterai une nette amélioration dans les bases de vie suivantes.





Lun 4h30 je me lève, je prépare mon sac (bouffe, « fiche de rando » suivante, PQ, reset chrono) et je vais manger un petit déjeuner de sportif : 1 compote et deux tartines au miel. Check météo : que du beau temps. 5h00 je sors dans la nuit avec 15 minutes de retard sur mon planning. Pas grave me dis-je. Mon genou gauche me fait un peu mal ; douleurs pas inquiétantes de démarrage. Direction col fenêtre, 3h30 d’ascension prévus au programme : 1192 m D+ répartis sur 12 km.

Je grimpe 400m de D+ et je double un couple de japonais à 05h50. Attention à l’euphorie matinale. Je me surprends à faire du 660 m/h au lieu des 500 prévus. Je calme donc un peu le rythme en attendant que le soleil se lève. J’évolue sur du chemin dans les bois avec quelques rochers et quelques racines ; de nombreux replats pour relancer. C’est très agréable.


Lun 6h13, 2200m d’altitude. Ciel étoilé sans nuage avec un magnifique croissant de lune ; quel bonheur ! Pour parfaire le tableau, la lumière du soleil commence à souligner les contours de la crête d’en face.

Lun 6h50, 2410m : petite pause Haribo ; je me retourne et je prends un instant pour admirer le lac Beauregard et son barrage qui se situent à 1700m d’altitude !

J’arrive au chalet de l’épée à 7h00. Ambiance chaleureuse ; on rentre dans une auberge surchauffée qui offre thé, café, biscuits, raisins, abricots secs. Même des gobelets en plastique, le luxe ! Je n’y reste que 5 minutes de peur d’avoir trop froid en ressortant trop tard.

Lun 7h19, à peine les 350m de grimpette commencés pour passer le col, je le vois déjà 2.5 km devant, donc à une heure pour moi. Je dépasse 2 coureurs italiens qui marchent tranquillement.

Lun 8h15, 2854m : je bascule dans une descente tellement raide que même en faisant de foulées très courtes (de la longueur de mes pieds) je fais quand même des petites pointes de vitesse à 1200 m/h ! C’est un sentier mono file en lacets qui nous descend de presque 700m en 2 km.

Lun 9h00, 2130m : on passe une cabane et on entame un beau sentier de traverse. Le soleil commence à nous réchauffer et la vue est magnifique. Rhèmes est juste en bas.

Lun 9h34, 1738m : arrivée au ravitaillement de Rhèmes-Notre-Dame. Je vois trois coureurs monter dans le bus, puis un autre qui n’arrive à rien avaler.  Je me dis que j’ai de la chance d’aller plutôt bien et de pouvoir manger tout ce que l’organisation nous propose. Je me limite à une pause de 20 minutes. J’avais prévu une heure pour y faire une sieste, mais comme il est trop tôt, je décide de reporter le repos du guerrier à mon arrivée aux Eaux Rousses, vers 15h30. Je repars donc avec 2 heures d’avance sur mon planning.

Direction le premier col à plus de 3000m : l’Entrelor, 1264 m à grimper. Je sens les ampoules qui se confirment ; au moins c’est symétrique : les 2 pieds me donnent la même sensation. Ma première course de la saison 2012, le Verbier St Bernard s’était soldée avec deux énormes ampoules sous les avant pieds. Mais au moins la course était terminée après 110k. Ce n’est pas le cas cette fois ci et cela m’inquiète. Dans quel état mes pieds vont-ils finir ? J’ai choisi de mettre de la NOK plutôt que de demander au support médical de me mettre des pansements, comme je vois pas mal de coureurs le faire. Je n’ai jamais fait panser mes pieds car je crains qu’avec la transpiration ça ne tienne pas ou que ça me fasse des frottements.

On commence par un monotrace qui nous emmène dans une forêt de sapins, sur un sentier de 2 mètres de large avec 1 ou 2 rochers de temps en temps. Nous entrons dans le Parc National du Grand Paradis. Les arbres tombent bien, moi qui avait peur du cagnard de fin de matinée. En sortie de la zone boisée, une heure plus tard, nous longeons un torrent. J’en profite pour tremper un bandana que je me mets sur la tête avant d’attaquer la section de haute montagne sous le soleil. J’ai rejoint mon ami Alain avec qui nous avons commencé la course; nous discutons 15 minutes et je passe devant juste après le Plan de Feye à 2393 m. Si j’ai bien compris, Feye veut dire mouton en patois valdôtain. Les toits en voûte sont « couverts » par la montagne, ce qui offre une protection efficace contre les avalanches.

Lun 12h21, 2780m : section haute montagne très minérale. La pente se fait très raide ; il ne reste qu’un peu plus de 200 mètres à grimper. Les 100 derniers mètres sont si raides que je sens l’attache de mon tendon d’Achilles droit avec mon talon me tirer un peu. Douleur aigüe et profonde à la fois. Pas trop douloureux en fait, mais bizarre ; je ne la connais pas celle-là. Je remarque que la terre du chemin ressemble à une espèce de ciment humide. Au niveau de mon souffle, tout va bien, même à 3000m que j’atteins à 12h45.

Lun 12h50, 3000m : après un moment de contemplation du panorama sur le massif du Grand Paradis par grand ciel bleu avec seulement 3 nuages parfaitement blancs au-dessus des plus lointaines crêtes, j’entame les 1348 mètres de descente vers Eaux Rousses. Je calcule qu’ensuite j’en aurai pour 1642m d’ascension pour atteindre le col du Loson. J’ai l’impression que ces 2 premiers jours sont une espèce de bizutage ; une sélection des coureurs « raisonnablement » solides et qu’après ça va se calmer. Je ne pouvais pas me douter de la suite, qui m’apprendra que chaque jour réserve son lot de surprises.

Je deviens philosophique : certes, il fait froid, c’est dur et la montagne a parfois l’air austère mais elle est aussi magnifique. Alors je dois choisir : sois je subis les difficultés, sois je PROFITE un maximum de cette belle journée et de cette aventure unique. Devinez ce que je choisis …

Lun 14h00 : j’essuie une attaque de négativisme au mental. Je suis inquiet pour mes pieds qui chauffent à nouveau beaucoup. J’ai peur de finir avec des pieds en lambeaux. Mais finalement, je relativise. Je n’ai pas plus mal qu’hier ; je dois juste gérer cela à chaque grosse descente. Je sens aussi le tendon de la voute plantaire à force de me crisper et de compenser. Relax Hervé ! Poses donc ces pieds normalement.

Lun 14h11, 2200m : sauvé par une étable ! C’est idiot, mais je passe devant une étable, je prends les vaches en photos, je leur parle en Français alors qu’elles sont Italiennes, j’échange un bonjour avec les touristes et … mon moral repart au beau fixe. Je me dis que c’est ce genre de moment qui justifie les difficultés du jour. Même si plus tard je venais à être vraiment en difficulté, je dois aller le plus loin possible pour ne pas louper un de ces moments. Je veux vivre chaque journée au jour le jour et si je fini, tant mieux ; sinon au moins j’en aurai profité autant que possible.

Je trouve le chemin vers Eau Rousses interminable. Pourtant qu’il est beau ce chemin balcon ! Mais ce grand U que nous faisons me porte sur les nerfs. Pourquoi ne descend-t-on pas droit dans la pente, ce serait plus rapide ! …

Lun 15h02, 1654m : enfin aux Eaux Rousses. Nous y arrivons ensemble avec mon ami Alain. Il s’agit de 2 grandes tentes alignées : une pour le ravitaillement, une pour l’infirmerie qui a quelques lits de repos tout au fond. Alain va directement aux soins. Moi je remplis mes gourdes (je fais toujours cela en premier pour ne pas oublier) puis je me restaure : soupe de pattes, pain, fromage, raisin … la routine. Après 13 minutes je demande à m’allonger 20 minutes. Très accueillants, ils me proposent un lit de camp dans la section de repos. J’y retrouve Alain qui a refait ses bandages aux pieds. 14 minutes plus tard, je me réveille avant que ma montre ne sonne. Alain préfère rester encore un peu alors je décolle.

Sommet du haut – Loson – 3296m

Lun 15h30, 1653m : avec 2h30 d’avance sur mon planning, j’entame l’ascension du plus haut col sur le parcours : le Loson – 3296m, soit 1642 m de D+ répartis sur 10.8 km. J’ai prévu de franchir le col dans 4h et 10 minutes. J’ai la pêche, comme souvent après une sieste, mais j’ai des doutes sur ma capacité à tenir sans beaucoup d’heures de sommeil ces derniers temps. On commence par une sorte d’allée au milieu d’alpage : chemin de 2m de large parsemé de gros cailloux et bordé par deux murets de pierre qui s’arrêtent un peu avant que le chemin entre dans la forêt à 1900m. Nous pouvons alors lire de temps en temps un petit panneau qui explique aux touristes ce qu’il se passe chaque mois de l’année dans la montagne.

Chemin faisant, je calcule qu’aujourd’hui nous cumulons 1200m de D+ (col Fenêtre), presque 1300m de D+ (Col Entrelor) et un peu plus de 1600m de D+ (col de Loson), ce qui nous fait 4100m de D+ dans la journée, plus les petits extras. Ajoutés aux presque 4000m d’hier, ceci confirme ma suspicion de « bizutage » les 2 premiers jours …

Je reviens doucement sur un petit groupe de 3 coureurs: une fille de Besançon un peu plus rapide qu’un gars du Japon et un Italien. Comme je les rattrape, ils me demandent de passer en tête. La fille (dont j’ai oublié le prénom) accroche un moment. Elle est très bavarde et sympa. Je sens que cette montée l’inquiète et qu’elle ne veut pas être seule. Mais comme j’entends qu’elle s’essouffle de trop alors que je monte un peu plus lentement que d’habitude, je lui conseille de ne pas se griller en allant trop vite. Elle est bien d’accord et on se dit « à plus tard ». Mon appareil photo tombe en panne de batterie. Pourquoi n’ai-je pas pris une 2ème ? Il faudra attendre Cogne. Grrrr.

La montée est longue ; à partir de 2000m nous ne bénéficions plus de la protection des arbres et le ciel est très menaçant. Les cimes sont enveloppées dans des nuages noirs. De notre côté du col, il ne pleut que 2 fois, une faible averse de 3-4 minutes à chaque fois. J’attends que la pluie se confirme avant de mettre le coupe-vent puisque j’étouffe là dessous. J’ai de la chance, pas besoin de le mettre ; je reste en maillot manches courtes, ce qui me motive pour avancer rapidement afin de rester chaud. Par contre, j’apprendrai plus tard que de l’autre côté du col au même moment, il grêle…

Sur la montée, je rattrape une dizaine de coureurs avec qui j’échange quelques mots quand ils le veulent bien. Je retrouve aussi mon amie Claude qui souffre d’insomnie : elle n’a pu dormir qu’une heure au chalet de l’épée depuis le début de la course ! Pendant que nous discutons, nous remarquons qu’un troupeau de bouquetins nous observe ! Je n’en avais jamais vu autant : une bonne douzaine, à moins d’une centaine de mètres de nous. Vraiment pas sauvages ces bêtes !

Je pars devant pour retrouver une vitesse plus naturelle pour moi. Je monte bien pour l’instant. Personne ne  m’a doublé en montée de toute la journée. Sur le Loson; il y a juste un couple d’Italiens qui monte au même rythme que moi, mais qui reste derrière. Nous sommes passés d’une zone d’alpages et de roches à une zone de roches seules, pour finir à partir de 3000m avec un mélange de roche + gadoue.  Les 200 derniers mètres sont particulièrement pentus. Il faut temporiser. Je rattrape encore deux coureurs et j’atteins le col à 19h45, avant la nuit et toujours avec 2h30 d’avance sur mon planning. Ce n’est pas la grêle qui m’accueille mais le soleil qui se couche entre quelques nuages.

Lun 19h45, 3296m : je suis toujours en t-shirt, j’ai la pêche. Il ne reste plus que 30 minutes de jour alors j’enchaîne sur la descente, qui commence très dur. Le sentier est très pentu et humide. J’agrippe une main courante de type balcon avec beaucoup de gaz et je passe devant un bivouac héliporté. Les deux bénévoles me disent bonjour et me demandent si tout va bien ; si je veux boire quelque-chose. Il me reste encore assez d’eau pour atteindre le prochain « ristoro » Vittorio Sella à 2585m alors je les remercie et j’enchaîne pour profiter du jour.

3080m je rejoins un coureur qui descend en arrière. Il ne s’agit pas d’un souci de releveur. C’est son genou droit qui ne tient plus. Il a déjà fait prévenir les gens du refuge qu’il a besoin de secours. Je lui dis donc que je vais renforcer le message si besoin. J’arrive au refuge un peu avant 21h. Il fait nuit noire et je n’ai pas croisé les secours. Donc je trouve le responsable et je lui explique la situation. Pendant mes 15 minutes de pause au refuge, je vois qu’ils s’organisent et partent à pied à la rencontre du coureur en détresse. Ils ont l’intention de le faire monter au bivouac héliporté. Je suis rassuré : la situation est prise en main.

Je repars dans la nuit pour une descente que j’ai trouvée immonde. Une espèce de vielle route / vieux chemin, coupé tous les 20 mètres par un bloc de béton qu’il faut enjamber. Puis du chemin avec encore du béton. Quand il n’y a pas de béton, c’est de la roche avec d’énormes marches à descendre. Ensuite les mêmes blocs de béton sur une piste interminable dans les bois. Plus de 2 heures de cela et nous arrivons à Cogne … et bien non, le village dans lequel nous arrivons vers 23h00 s’appelle en fait Valnontey (1674 m), il n’y a personne et il nous reste 3 km à faire pour atteindre la base vie à Cogne, 90% de bitume. J’étais de si mauvaise humeur à Cogne que j’aurais bien cogné la personne qui a conçu cette section finale ! Mais bon, c’était ma faute si cette partie m’a surpris. 



























Cogne – km 102

Lun 23h40, 1531m : arrivée à Cogne ; comme à Valgrisenche, j’ai droit à un pin’s avec le nom de la base vie sous le logo de la course. Sympa, je vais en faire la collection. Je mange rapidement, je fais mon sac pour le lendemain, je change la batterie de mon appareil photo et les piles de ma frontale et je vais me coucher après avoir retiré mes chaussettes pour laisser sécher mes pieds douloureux. J’ai une grosse plaque de peau blanche sous chaque avant pied. Mais une fois mes pieds secs au réveil, il ne reste plus que deux petites ampoules.



Mar 5h00, départ de Cogne après un petit déjeuner de vrai montagnard : 2 tartines couvertes de Nutella, 3-4 bouts de fromage, une tranche de jambon, un thé et une pomme que j’ai mangée en quittant la base vie. En mangeant, j’en ai profité pour lire les nombreux SMSs de soutien de ma famille, mes amis et collègues. Mille mercis à eux pour leur support. Dommage que je n’ai pas pensé à prendre quelques batteries de rechange pour pouvoir laisser mon téléphone allumé pendant toute la course.

J’ai 20 minutes d’avance sur mon horaire. Je me sens super bien, alors je progresse en petites foulées sur le bitume de Cogne. Erreur … euphorie du matin. Rappel de mon genou gauche : légère douleur sur le côté ; alors je marche pour m’échauffer comme j’aurais dû.
Au programme de cette 3ème randonnée : une seule montée et une seule descente. Facile non ? Terminé le bizutage ? Direction la fenêtre de Champorcher à 2827m, soit 1300m d’ascension répartis sur 16km. La suite ? oh… juste une petite descente de 2500 mètres … répartis sur 30 km. Aujourd’hui je ne suis plus en recherche de dénivelé mais en recherche de distance, ce qui n’est vraiment pas mon point fort.

Mar 6h30, 1830m : ravitaillement de Goilles. Je suis surpris d’avoir déjà couvert 5 km, vu que de nuit je ne vais pas bien vite et que j’ai fait une longue pause technique, si vous voyez ce que je veux dire. J’ai eu droit à un thé sucré et un biscuit. Puis la même chose à nouveau.

Je repars sur un sentier en sous-bois le long d’un torrent. Le soleil se lève petit à petit et me permet de voir de nombreuses petites cascades. C’est magique.

Mar 7h00, 2000m : je suis toujours dans les bois et j’entends le torrent. Le sentier est large, sinueux et presque pas rocheux. Je rattrape un coureur Italien tout de blanc vêtu. Il n’a dormi qu’une heure à Cogne alors que j’ai dormi 4h. La différence de fraicheur entre nous deux se fait vite sentir, alors je pars devant.

Mar 7h30, 2150m : je sors du bois ; la zone d’alpage commence dans  un petit coin de paradis : jonction de rivière non loin de ce petit chalet isolé au toit d’ardoise que j’ai pris en photo. C’est si paisible ici ! Ce serait un lieu de vacances idéal.

Mar 8h51, 2450m : j’ai suivi la rivière pendant une heure dans cet alpage certes montant, mais aussi vallonné. Au passage sur un pont d’une dizaine de mètres de long, nous quittons le parc national du Grand Paradis. Nous passons sous cette ligne électrique haute tension qui remonte la vallée depuis un moment et gâche un peu le paysage. C’est presque de l’humour de positionner une telle ligne à la frontière du Paradis.

Je débouche sur une piste qui monte au refuge. Je repasse sous cette ligne électrique qui crépite tellement fort qu’on ne peut que s’inquiéter des ondes que cela provoque et de l’effet sur notre organisme et sur celui des animaux. Je me sens bien mais je trouve le chemin un peu long : il n’y a pas assez de dénivelé à mon goût. Je devrais pourtant être content de faire de la distance sans trop d’effort, mais c’est moins mon truc. Alors je pense à mon heure d’arrivée à la prochaine base vie, à comment je vais m’organiser pour y passer le moins de temps possible et j’aimerais bien avoir le profil de la « prochaine randonnée » qui m’attend dans mon sac jaune, dans le sachet Ziploc étiqueté « BV #3 ». Mais non, je me suis promis que chaque section de cette course serait pour moi une randonnée séparée. Et peu importe mon heure d’arrivée à la base vie, tant qu’elle me permet de finir cette course. J’ai du mal à oublier mon esprit compétitif vis-à-vis des autres coureurs. Alors je me fais un peu la morale : peu importe le rythme des autres ; je fais cette course avec eux et non contre eux. Mon seul ennemi, c’est moi-même. D’ailleurs je commence à vraiment croire que je vais arriver à Courmayeur dans les temps.

Mar 8h56, 2534m : je pose mes bâtons au refuge Sogno. Son nom complet est « Sogno de Berdzé au Péradza ». Berdzé signifie berger en patois valdôtain. C’est en fait Monsieur Berger qui l’a construit, sur la demande de la famille Sogno.  J’entre dans ce refuge qui a très bonne réputation pour son accueil et je ne suis pas déçu. La maison offre le ravitaillement le plus riche de la course : soupe très épaisse avec des pois chiche, polenta et omelettes coupés en cube, tartes ou quiches, fromages,  jambon, fruits, plusieurs sortes de tartes aux fruits, panier de fruits, jus de fruit, thé, café, coca, vin, j’en oublie, c’était un incroyable festin ! Petites tables comme dans un restaurant. J’y suis resté 17 minutes, plus que souhaitable dans une ambiance aussi chaude, chaleureuse et confortable. D’ailleurs j’ai remarqué au moins 6 ou 7 coureurs/coureuses qui étaient déjà bien installés à manger et à discuter quand je suis arrivé, et qui ne montraient toujours pas signe de vouloir reprendre leur chemin quand je suis reparti. Danger coureur scotché …

Mar 9h11 : c’est reparti pour l’ascension des 300 derniers mètres du col de la fenêtre de Champorcher. Ça monte sec très rapidement après le refuge sur chemin de terre étroit dans la rocaille. Les lacets ne sont pourtant pas très serrés. La pente permet de se réchauffer rapidement. Pourtant à 2700 je passe à côté d’une coureuse allongée sur une partie un peu plus large du chemin (1 mètre). Elle dort. Son sac l’empêche de rouler la pente qui borde le chemin. Je passe sur la pointe des pieds pour ne pas la réveiller et je fais une photo après le lacet suivant, quand je reviens à sa hauteur. C’est quand même bizarre qu’elle n’ait pas choisi de se reposer au refuge.           

Mar 9h46, 2827m : j’atteins le col de la fenêtre de Champorcher, sous le crépitement de ma copine la ligne électrique haute tension. J’ai trente minutes d’avance sur mon planning, ce qui n’est rien comparé au temps que je gagnais hier sur les montées beaucoup plus raides. Cela confirme que la recherche de dénivelé me convient mieux que la recherche de distance.

Sommet du bas : 330 m

Nous entrons dans le parc régional Mont Avic. Le ciel est bleu mais avec pas mal de nuages blanc (non menaçants). La visibilité est très bonne. On voit bien le début de nos 30 km de descente, notamment un petit lac que je pense être le Lac Noir. Nous commençons la descente sur un chemin rocailleux avec un peu de vert sur les côtés. Bref, un terrain de haute montagne adouci.        

Mar 10h19, 2550m : je suis au lac Miserin et je me ravitaille au refuge qui porte le même nom, une des 4 maisons de ce lieu. Je continue sur une piste facile pour 4x4. Ma stratégie pour descendre ces 2500m de D- consiste à les diviser en 5 sections de 500m. Je compte faire une pause allongée après chaque section.

Mar 10h29 : j’ai vraiment mal à la plante des pieds, surtout au pied gauche. Pensant que c’est probablement parce-que mes pieds glissent trop dans mes chaussure, je serre les lacets de ma chaussure gauche, mais je ne touche pas à ma chaussure droite qui me servira de témoin pour mesurer l’efficacité de ma solution. Cinq minutes plus tard, force est de constater que ma « solution » n’est pas satisfaisante : j’ai davantage mal au pied gauche alors que la douleur à mon pied droit est stable. Je desserre donc les lacets de ma chaussure gauche davantage que ma chaussure droite. Bingo ! Moins mal. Je dessers donc la droite aussi, sachant que le travers de ce choix est que mes doigts de pied risquent fort de taper au bout des chaussures me causer des problèmes d’ongles. Un compromis pragmatique  n’est jamais parfait…

Mar 11h20, 2375m : j’ai terminé la première section de 500m. J’ai de la chance : je trouve rapidement un rocher avec une surface plate de 2m x 2m. Je m’assois, retire chaussure et chaussettes et j’allonge mes jambes sur la partie haute de la section plate pour que la circulation de mon sang soit aidée par la gravité. Autre chance : le soleil me chauffe puisqu’il vient de sortir de derrière un nuage. Je sors de mon sac à dos ma réserve alimentaire. J’y mets des choses inhabituelles qui me font envie : noix de cajou, pretzl, gâteaux PIMs, cacahouètes pralinés. Je mange un peu et je mets 2 barres énergétiques dans les poches de mon collant 3/4. Huit minutes se passent, j’inspecte mes pieds qui sont déjà secs. La vitesse de séchage me surprend. Je vois bien cette zone de peau blanche de 8 cm par 3cm sous les mes deux avant pieds, ainsi que la petite ampoule en plus du côté gauche. Je masse mes pieds et je les NOK. Ensuite je remets mes chaussettes en prenant soin qu’il n’y reste ni cailloux, ni poussière, ni brin d’herbe, ni plis. Idem dans les chaussures que je lace très lâchement.

Je décide de tenter une autre expérience : je sors mon lecteur MP3 du sac. En effet je ne cours jamais en musique. Je n’en ai juste jamais besoin. Mais sur les conseils d’un ami, je me suis fait une petite play liste et j’ai mis ce lecteur MP3 dans le Ziploc de la base vie #2 pour le 3ème jour, anticipant que ces 30km de descente douce allaient être longs.

Je repars tout frais, mais je note que cette pause a duré 14 minutes. Il faudra raccourcir la prochaine. Marcher en montagne au son de musique qui donne envie de bouger est une expérience intéressante. J’essaie de ne pas me caler sur la cadence des différents morceaux, mais sur la mienne. Je n’entends plus les bruits de la montagne. Je croise des gens mais je ne les entends que très faiblement me saluer ou m’encourager j’imagine. Bref, certes la musique énergise, mais il y a des inconvénients très gênants pour moi qui aime la nature et la compagnie humaine...

Je passe par un joli petit hameau de maisons en pierre. Fini la caillasse de haute montagne, vive le vert des alpages et des sapins. Ça tombe bien car depuis 11h30 les nuages ont disparus et le soleil Cogne ! (je suis un accro des jeux de mots)

Mar 12h50, 1580m : depuis Dondena, nous longeons la rivière Torrent Ayasse. Cette section du parcours est très aquatique : cascades, torrents, petits et grands ponts. J’adore ! Mais … le chemin est aussi très rocheux ; il prend la forme de plusieurs longs escaliers naturels avec des marches pouvant atteindre 40 à 50 cm de haut. Réparti en plusieurs sections sur un total avoisinant les 200m de dénivelé, ça fait très mal à mes genoux et à mes pieds, ce qui me mine le moral et m’oblige à faire de nombreuses pauses. A tort, j’essaie d’éviter la douleur de mes ampoules, ce qui fini par me faire bien mal au tendon qui passe sous la voute plantaire à force de crisper mon pied. Je suis en plein doute sur mes capacités de terminer cette course. Je me concentre pour détendre mes pieds et accepter la douleur des ampoules. En fait, je vise mes ampoules à chaque pas, tel un masochiste. Je n’ai pas le choix : il faut à tout prix éviter les tendinites !

Mar 13h04, 1450m : arrivée à Chardonnay, véritable retour à la civilisation puisqu’il s’agit d’une vraie petite ville touristique au milieu de ce paradis aquatique. Il y a tout ce qu’il faut pour un agréable séjour en famille.

En arrivant dans la tente du ravitaillement, j’ai vraiment très très mal aux pieds et le moral dans les chaussettes. Je remplis quand même mes 2 gourdes, mon premier geste à chaque arrivée dans un ravitaillement. Puis je prends 2-3 choses à manger et je m’assois. Il se trouve que je suis à côté du rideau de l’infirmerie où une fille très très bavarde se fait traiter ses ampoules aux pieds. En écoutant le dialogue, je décide qu’il est temps de faire confiance au corps médical. Mon tour arrive. Je veux savoir s’ils vont percer mes ampoules. La réponse est négative. Mes ampoules ne sont pas assez mûres, disent-ils. Je demande si les pansements qu’ils vont me mettre peuvent être retirés et remplacés facilement. Ils me répondent que oui ; il faut les refaire après une douche. Ouf me dis-je, ce qu’ils me font est réversible. Cela me suffit pour être rassuré. Dans le pire des cas je peux tout retirer et continuer la course.

Mar 13h50, je repars dans ce paradis aquatique. Encore 1100m de D- répartis sur 19km. Je conserve mes 30 minutes d’avance sur mon horaire mais je n’ai pas fait la sieste que j’avais prévue. Mes pieds me font moins mal et les pansements me donnent des sensations de glissement « bizarres ». J’ai l’impression qu’ils glissent et qu’ils ne vont pas tenir longtemps. Je décide que tant qu’ils ne me gênent pas, je ne regarde pas et je n’y touche pas. Je suis reparti avec mon pote Alain qui m’a rejoint au ravitaillement. Il a aussi des ampoules, mais il me semble plus solide que moi. Il faut dire que j’ai vraiment le moral dans les chaussettes.

Nous passons une série de ponts. Je prends pas mal de photos, puis je rattrape Alain dès que le chemin monte un peu. Par contre, j’ai bien de la peine à le suivre sur le plat et en descente. Sa conversation ainsi que le décor magnifique m’aident à franchir ce passage à vide.

Mar 15h30, 791m : nous arrivons au ravitaillement de Pontbosset. Nous y rencontrons une bénévole française très sympa qui vit en Italie depuis plusieurs années. Remplissage d’eau, 2-3 bouts de fromage et de saucisson, deux bouillons + biscuits salés, une banane et pour finir, un coca. J’essaie de ne pas m’assoir trop longtemps car après, bonjour les douleurs aux pieds.

10 minutes plus tard, Alain et moi repartons ensemble bien ré-énergisés. Il me tire encore dans les descentes et sur le plat, puis je fais ma part de travail dans les montées. Nous dépassons quelques coureurs durant les 2 heures qui suivent et prenons aussi le temps de faire quelques photos. Merci à lui pour son aide précieuse ! Sa présence m’a fait gagner au moins 30 minutes.

Mar 17h40, 330m : nous arrivons dans l’agglomération de Donnas, mais savons qu’il nous reste presque 4 km de marche avant d’atteindre le ravitaillement. Nous commençons par entrer dans Hône. Joli pont pavé et constructions au bord de l’eau. Alain pars devant. J’entre dans le quartier de Bard. Dur dur de ne pas s’arrêter au bar devant lequel je marche. Ensuite, descente sèche pour longer un canal et remonter vers les remparts de Donnas.

A 18h23, après 40 minutes de bitume, je débouche enfin sur longue avenue avec pas mal de trafic. C’est dur pour le moral. Je prie pour ne pas avoir à marcher jusqu’à la fin de cette avenue ou sinon j’en ai encore pour 30-40 minutes ! Ce serait bien si l’organisation nous indiquait la distance restante pour atteindre le ravito.

Mar 18h29, 330m : nous venons de tourner à gauche et … je vois le ravitaillement à 100 mètres. Quel soulagement ! Moi qui pensais que cette 3ème section de la course allait être cool ! J’ai toujours 30 minutes d’avance sur mon horaire et 7h d’avance sur la barrière horaire.