Valtournenche – km 236


Jeu 20h51, 1526m : arrivée à « Valtournenche – Crétaz ». Je n’ai croisé aucun coureur depuis le col de Nannaz. J’espère que je trouverai davantage de compagnie durant le reste de la course. Par contre, après avoir mangé copieusement (du riz cette fois, bonne surprise), je rencontre mon ami Alain dans la grande salle de conférence qui précède l’entrée dans les dortoirs. Lui aussi prépare ses affaires pour la section suivante de la course. Nous discutons un moment, c’est sympa. Puis je vais m’allonger 2 heures. Le dortoir est très grand et calme. Il n’y a qu’une dizaine de coureurs allongés. Je dors une bonne heure profondément, puis une demi-heure supplémentaire. Avant que ma montre ne sonne, je finis par décider à me lever. Je dormirai davantage au premier refuge : Barmasse. Je ne sais plus pourquoi je n’ai pas appliqué ma stratégie de Donnas : ne pas dormir en base vie. Je n’étais pourtant pas si fatigué et j’avais fait une sieste « anti-inflammatoire » à St Jacques.

Il me prend alors l’envie d’un petit déjeuner. J’arrive à mettre la main sur du pain, de la confiture et de la Nutella je crois. Un thé sucré chaud aussi. La météo de vendredi est prometteuse : il fera plus chaud qu’hier et le vent soufflera beaucoup moins fort.


Jeu 23h49, 1526m : je quitte « Valtournenche – Crétaz » sur une route de bitume qui descend le long de la rivière Marmore, la traverse, puis la longe sur environ 100 mètres de dénivelé positif. C’est ici que la suite du parcours commence, sur piste. Je vois sur ma fiche de rando #6 que je m’échauffe avec une ascension de 650 mètres au refuge de Barmasse. Globalement, le profil de cette journée me plait beaucoup, puisque je ne vais pas faire juste des longues montées suivies de redescente en vallée, mais passer un bon moment en altitude.

Ven 0h45, 1780m : la nuit est très belle : ciel très étoilé sans nuages. La température est agréable en manches courtes. Il n’y a pas de vent. Ce calme complet est très agréable. J’espère que je ne vais pas commencer à m’endormir. Je vois une frontale 300m devant moi. Ca tombe bien ! La motivation de rejoindre ce coureur me stimule et me permet de rester dans le jus. Mais je le rattrape trop vite. C’est un japonais qui est très fatigué et qui ne parle pas assez bien anglais pour que nous puissions communiquer. Donc je dois continuer mon chemin tout seul.

Ven 1h15, 2020m : je commence à comprendre que les lumières que je vois devant sont celles de la retenue d’eau de Tsignanaz. C’est un énorme barrage qui se dessine peu à peu dans la nuit. Arrivé au pied de cet édifice de béton, je le longe en passant derrière l’habitation de la centrale hydroélectrique. J’aime l’eau (je fais pas mal de plongée profonde) mais je suis content de franchir cette zone « de retenue aquatique » pour grimper vers le refuge qui se trouve immédiatement derrière.

Arrivé au refuge Barmasse vers 1h30, j’entre dans une petite pièce de 4m par 3m. Deux bénévoles sont assis et discutent tranquillement. Et moi qui ai sommeil en marchant, comment font-ils pour tenir toute la nuit sans dormir alors qu’ils sont assis ?? Bref, l’un d’eux me propose une boisson chaude. J’accepte très volontiers un bouillon que j’agrémente de plusieurs bouts de pain et de fromage. Sans trop tarder, je remplis une de mes gourdes d’eau et je demande à dormir un moment. Très accueillants, mes hôtes me proposent leur dortoir au premier étage et l’un d’eux m’y conduit. Une fois assis sur un lit, je retire chaussure et chaussettes et je me masse les pieds. Je constate qu’avoir retiré mes guêtres a en effet résolu mes soucis d’ampoules. Et le strap posé sur mon talon d’Achilles fait des merveilles. Tout va bien pour moi. Ce vendredi commence bien.

Je dors une heure, puis un autre coureur qui vient s’allonger sur le lit d’en face me réveille. Peu après, je décide de me lever. Arrivé dans la salle à manger, je prends un thé chaud et sucré, deux bouts de fromage,  je remercie mes hôtes et je me lance dans la nuit à 3h30 du matin.

Le ravitaillement suivant, Grand Raye, 2352m, est donné à deux heures. Ca commence par 2 km de piste en descente. C’est assez ennuyeux mais cela permet d’avaler un peu de distance à moindres frais. Ensuite, ça devient très agréable, surtout de nuit : chemin mono trace dans les bois, succession de montées et de descentes. J’ai la forme, je relance bien et j’y rencontre 5 ou 6 coureurs qui sont plus à la peine. Mais à cette heure ci de la journée, rares sont les personnes bavardes…  

Ven 5h10, 2352m: refuge Grand Raye. J’y fais un bref arrêt: je complète mes gourdes aux 3/4 puisque le ravitaillement suivant est à deux heures, je mange un peu de fromage, un bout de viande séchée et go ! J’ai hâte de voir le lever du soleil en altitude.

Ven 6h05, 2480m : le soleil commence à illuminer l’horizon. J’essaie tous les modes de flash disponibles sur mon appareil photo pour cristalliser ce que mon œil perçoit. Mais bon, la technologie a ses limites. Le ciel étoilé est parfaitement visible : aucune brume, aucun nuage. La crête de montagnes derrière moi est comme phosphorescente, puisqu’illuminée par les rayons d’un soleil pas encore visible. Et, juste au dessus de cette crête, presque en contact, se trouve la lune. Son disque sombre est très nettement dessiné. Le croissant de lune couvre environ 1/5 de la surface du disque, à gauche (lune décroissante). Quel spectacle magnifique ! Ca valait vraiment le coup de se lever ce matin ! On ne voit pas souvent cela dans une vie.

Je me moque un peu de moi-même : à me voir m’arrêter tous les vingt mètres, regarder autour de moi et prendre tant de photos, on dirait que je suis un touriste. A vrai dire, il s’agit de mon meilleur souvenir de course ; en fait, il n’y a plus de course, plus de chrono. Ce vendredi matin je suis juste content d’être toujours en vacances (cf. ma menace de retourner au travail en cas d’abandon), toujours dans la course et dans un coin de rêve sur terre, à un moment magique. Que demander de plus ? Ce matin je ne compte plus les mètres de dénivelé, je ne fais plus de compte à rebours. Je prends le chemin comme il vient. Suis-je victime d’euphorie matinale ? Un petit peu sans doute, mais pas seulement. J’ai plutôt l’impression de vivre un déclic, un état d’esprit que je n’avais jamais encore vraiment atteint durant une course.

Ven 6h36 : je marche sur une petite crête, dans un cirque. Je monte vers le col de la fenêtre de Tzan que je vois droit devant, à moins de 30 minutes. Cette petite crête domine son contrebas d’environ 50 mètres. Sur les côtés, à droite comme à gauche, la montagne est très proche et forme de véritables murs. Derrière, il semble que c’est aussi un mur, mais plus lointain, à se demander comment je suis arrivé jusqu’ici !

De l’eau avec ou sans glaçons ?

Je mets le pied sur une roche très glissante. Comme je marchais, je ne tombe pas. En la touchant je m’aperçois qu’il s’agit en fait d’une fine couche de glace sur la roche. Je remarque ensuite un écoulement d’eau gelé. Tiens, on dirait qu’il fait froid ici ! Je suis bien habillé : maillot, polaire de course et polaire de marche (veste de finisher UTMB), bandana autour du cou (protège la zone de la carotide où nous perdons tous beaucoup de chaleur), bandana autour de la tête. Par contre je n’ai pas mis mon coupe-vent qui fait étuve et mes gants sont dans mon sac. Je bois un peu … je m’arrête à la troisième gorgée tellement l’eau est froide. Heureusement que le soleil va bientôt nous chauffer sinon je finirais par avoir des glaçons dans mes gourdes. Cela me rappelle l’époque des tuyaux de Camelbak qui gelaient …

J’attaque la partie finale de la montée sur un chemin monotrace sans obstacle. La progression est facile. Je note encore que le sol est très dur : mes bâtons de s’enfoncent pas dans la terre. Par contre, en posant ma main sur quelques roches, je remarque qu’elles ne sont pas vraiment froides. Il va donc faire bien chaud en journée.

Ven 6h54, 2736m : Fenêtre du Tsan. Pour une fois, l’herbe entoure le chemin jusqu’en haut du col. Jusqu’à maintenant, j’avais été plutôt habitué à une fin d’ascension purement minérale. Je remarque une croix un peu plus haut ; comme je ne suis pas pressé, les 50 mètres de détour ne me dérangent pas. Je prends une photo de ce message très amical d’alpiniste à alpiniste. Le décor est magnifique. A perte de vue et sur 360 degrés il n’y a que montagnes, alpages, forêts, rochers et neige. Allez, il est temps pour moi de continuer la route.

Ven 7h23 : 100m de D+ pour tester ma forme avant le bivouac Reboulaz. Je me surprends à faire une pointe à 800 m de D+ / heure. Après 250 km de course, je ne m’en serais vraiment pas cru capable. Je dois ralentir un peu, préserver ce talon d’Achilles ainsi que mes genoux pour me donner une bonne chance de terminer cette course. Le chemin est un mono trace roulant sans obstacle permettant de courir facilement pour ceux qui le peuvent. Ce secteur de la montagne est très vert et parsemé de quelques petits rochers qui ne gênent pas la progression.

Ven 7h34, 2585m : arrivée au bivouac Reboulaz. La table du ravitaillement est située à l’intérieur d’une petite maison de pierre. Quatre coureurs se servent, ce qui me laisse juste un petit coin sur la gauche de la table. J’y remarque une bouteille particulière, toute fine, contre le mur. Je demande au bénévole Italien qui s’occupe de la table, quelle boisson contient cette bouteille. Il arrête tout ce qu’il faisait, et m’explique en souriant qu’il s’agit de vin blanc local, en fait produit par le gardien de ce bivouac. Et bien entendu, il me propose d’y goûter. J’accepte, ce qui lui fait vraiment très très plaisir. En me servant, il appelle le gardien pour qu’il vienne confirmer qu’il s’agit bien de son vin. En fait, je n’aime  pas trop ce vin, mais j’adore ce moment de partage et l’expression de fierté dans les yeux de mes hôtes. Je dois continuer mon chemin, alors je les remercie chaleureusement et je prends congé …

L’abri-bivouac Reboulaz se situe tout près du joli lac d’altitude de Luseney. La traversée du torrent qui prend sa source dans ce lac ne pose gère de problème vu que de nombreuses sections sont encore gelées. La grimpette en direction du col Terray (2775m) commence juste après le torrent et passe près d’un secteur ruines. Le soleil commence à nous réchauffer un peu. Beau ciel bleu, quelques rares nuages blancs : le temps est juste parfait.

Ven 8h05, 2775m : arrivée au col Terray. Je fais une petite pause culinaire. Le chemin redescend du col en serpentant sur une pente raide. La descente est impressionnante : grosses marches et lacets très serrés. Même en faisant une pause à chaque lacet pour ne pas griller mes jambes, je fais des pointes à 1000m D- / h. A chaque pause j’en profite pour contempler cette vue magnifique.

Après cette descente, j’entame une succession de montées et de descentes à mi-côte jusqu’à une crête herbeuse. Je traverse un torrent, passe sur un petit promontoire, puis j’atteins le ravitaillement suivant peu après.

Ven 9h23, 2656m : arrivée au refuge Cuney. Ils ont installé une grande tente le long d’un mur du refuge. Il fait bien chaud sous la tente et ça me fait plaisir de m’assoir un moment à une longue table à laquelle se restaurent 6 autres coureurs. Tout le monde a l’air fatigué, moi aussi j’imagine. Nous sortons tous d’une nuit froide et nous avons tout de même parcouru 256 km avec un certain dénivelé. Je mange trois rondelles de pain que je trempe dans du bouillon, ainsi que 4 ou 5 bouts de fromage et un bout de saucisson. En partant, je prends une poignée de raisins secs que je mets dans une poche. Comme je ne trouvais personne qui avait envie de discuter, je suis content de retrouver la montagne ensoleillée.

Ven 10h00,  2565m, en montant à 10% sur chemin facile, je sens à trois reprises une légère douleur à mon talon d’Achilles. Je décide donc de faire dès que possible une « sieste anti inflammatoire ». Il fait bon ici, le cadre est très vert, il y a quelques rochers derrière lesquels je pourrais me cacher pour faire une sieste de 20 minutes au soleil. En me cachant je m’assure qu’aucune personne bien intentionnée vienne me réveiller avec un « ça va ? ». Par contre il ne faut pas que je dorme trop sinon la Scopa risque de passer sans me voir et de retirer les fanions jaunes qui balisent  notre itinéraire. Peu après, je trouve un bout de pelouse ensoleillé qui va parfaitement. J’enfile ma polaire noire UTMB de peur que le vent froid ne me réveille trop tôt et je m’allonge.

Ven 10h30 : c’est ma montre qui me réveille 20 minutes plus tard. Cette sieste m’a fait du bien. Je repars avec de bonnes sensations et … je suis content de retrouver les fanions jaunes qui m’amènent rapidement au Col Chaleby, 2653m, que j’atteins à 10h46.

Ven 11h05 : je suis à mi-chemin de l’ascension vers le bivouac Rosaire Clermont, quand mon nez commence à saigner. Au début il ne s’agit que de goutte à goutte, ce qui me laisse le temps de retirer mon sac à dos, de l’ouvrir pour en extraire le sac Ziploc qui contient le Sopalin dont je me sers comme papier toilette. 
Heureusement, j’en ai une bonne réserve puisque j’ai trouvé ce qu’il fallait en refuge les deux dernières fois. Je me bouche la narine droite et je m’assois un moment sur le bord du chemin. J’ai des saignements dans la vie de tous les jours environ 2 à 3 fois par an ; j’ai toujours saigné facilement du nez, depuis tout petit. Rien de trop inquiétant.

Après 5 minutes, je retire mon bouchon pour tester l’avancement de la coagulation. Et là … mon nez se met à couler comme un robinet d’eau ouvert. M….. ! Je mets un autre bouchon (que j’avais préparé avant de retirer le précédent) et je le pousse très fort à l’intérieur pour mettre de la pression sur l’hémorragie. C’est la 2ème fois dans ma vie que j’ai un saignement de nez avec un tel débit. La première fois, c’était à la maison voilà un peu plus d’un an. Le saignement s’était arrêté au bout de 10 minutes environ. Pendant que j’attends, assis au bord du chemin, mon cerveau turbine dans le négatif. Que vont penser les coureurs qui vont passer à côté de moi ? Vont-ils alerter les organisateurs qui vont me mettre hors course ? Pourquoi ce saignement ? L’anti-inflammatoire pour mon talon d’Achilles ? Le verre de vin du gardien du bivouac Reboulaz ? Ma sieste au soleil dans ma polaire noire ? Le soleil qui commence à cogner fort ? Les changements d’altitude et de température ? Mon excitation « lunaire » matinale sur la petite crête ? Je suis peut-être trop hydraté : mon sang est trop fluide ? (Note au lecteur : si vous avez une expérience ou théorie, merci de la partager en commentaire de récit ou en écrivant à herve à iherve point com)

Il est presque midi. Le soleil cogne dur. Je m’asperge la tête d’eau pour me rafraichir un peu. Deux randonneurs arrivent vers moi. C’est un couple d’Italiens ; ils parlent très bien Français. Ils viennent renforcer l’équipe de bénévoles au bivouac Rosaire Clermont. Ils décident de rester avec moi. Ils me proposent des kleenex que j’accepte volontiers. Dix minutes passent en discutant. Je fais un test de coagulation devant eux. Ce n’est plus un torrent, mais mon bouchon est trempé de sang. Pendant les 10 minutes qui suivent, je change mon bouchon fréquemment jusqu’à ce qu’il soit sec. Ca fait bien 30 minutes que je suis assis quand je me lève en espérant que la coagulation soit solide. Pendant cette période, un seul coureur est passé. Il a vu que j’étais bien entouré et a continué son chemin. Mon couple d’amis m’a patiemment accompagné, très lentement au début, vers le bivouac.

Ven 12h15, 2700m : arrivée au bivouac Rosaire Clermont. Mes amis embrassent tout le monde ! Je vais m’assoir à l’ombre, très inquiet. Quand j’explique ce qu’il s’est passé à une bénévole secouriste, elle me rassure un peu : il y a eu 3 autres cas comme moi hier et ce matin. J’ai droit au traitement de faveur : au lieu de manger sous la tente comme les autres, je reste assis dans la cuisine / salle à manger, à table sur une banquette confortable. J’ai droit à une polenta de première catégorie. Ensuite, ils me permettent de m’allonger sur un des lits superposés, avec la tête et les pieds surélevés. Je reste allongé une bonne heure, mais je ne dors jamais plus de 5 minutes d’affilée. A 13h40, j’en ai marre et je me lève. Dehors je vois la Scopa. Il était temps que je sorte ! Ils me disent que je suis le dernier coureur encore en course, que l’avant-dernier vient de repartir mais qu’il est en sérieuses difficultés suite à une blessure à la cuisse. C’est l’électrochoc dont j’avais besoin. Tout d’un coup je me sens bien. Je remplis mes gourdes qu’à moitié. Je vais boire le strict minimum, le temps que mon urine redevienne un peu jaune. Depuis le début de la course, elle est totalement transparente, ce qui est très bien pour éviter les crampes, mais peut-être moins bien pour éviter les saignements de nez. Je pars en disant aux gars de la Scopa que je ne resterai pas longtemps dernier.

Ven 13h46, 2700m : départ du bivouac Rosaire Clermont. Je remonte une pente raide et pierreuse et je rejoins l’ex avant-dernier un peu avant le col. Mes sensations sont bonnes. La présence de la scopa derrière moi me rassure. En cas de saignement incontrôlé, ils m’aideront.

Ven 13h59, 2793m : arrivée au col de Vessonaz. La vue sur la descente qui nous attend est imprenable. On dirait que ça va être long dans les bois en bas. Closé est à 1463m. Cela me fait 1330 mètres de descente étalés sur environ 9 km. La barrière horaire est à 18h30 ; j’ai donc plus de 4 heures pour faire ce qui ne me devrait pas me prendre plus de 3 heures, en comptant la petite remontée en bas.

Ven 14h19 : je dépasse une Italienne qui semble pas mal souffrir de tendinite au releveur. Le chemin descend sec au début, mais ne présente pas de difficulté technique. C’est un monotrace dans la caillasse. Dès que la pente diminue un peu, je me prends à réfléchir à mon plan d’action au ravitaillement en bas. Je vais d’abord bien manger, puis demander un avis médical sur mon saignement de nez. S’ils me donnent leur feu vert, je termine cette course, c’est juré ! A Ollomont, je compte me reposer jusqu’à la barrière horaire de 01h00, partir avec les derniers et rester en compagnie de quelqu’un plus lent que moi. Pour terminer cette course, il faut que je fasse autant de chemin que possible de nuit, même si c’est galère pour moi. A part la gestion du sommeil, je n’ai jamais eu de soucis la nuit. Pas de tendinite ni de saignement de nez. Sans doute parce-que je vais moins vite et que mon métabolisme est ralenti, comme si j’étais zen. Alors qu’en journée, je m’excite de trop. Par contre, il y a un gros inconvénient à progresser de nuit : on ne voit pas grand-chose …

Ven 14h41, 2100m : je termine mon passage dans l’alpage Arp Damon, j’arrive à la lisière d’un bois. Il n’y a plus de fanions balises depuis 5 minutes. J’avais lu que les vaches de ce secteur les mangeaient. Heureusement, le balisage de randonnée, peint sur les rochers, est très facile à suivre. Je suis content de passer dans ce secteur de jour : suivre des marques de peinture de nuit est moins facile. Une fois rentré dans les bois, toujours pas de fanions. J’espère que le parcours de la course n’a pas dévié du chemin de randonnée comme il le fait parfois. Je me demande pourquoi l’organisation de la course n’a pas accroché quelques fanions en hauteur dans les arbres, comme ils l’ont fait avant Saint-Jacques. Il me prend l’envie de remonter au dernier fanion pour vérifier que je n’ai pas fait d’erreur. Ça me coûterait 20 minutes, alors j’attends simplement que la randonneuse que j’ai dépassée voilà 5 minutes me rattrape. J’ai de la chance : elle parle bien français, elle est sympa, elle est du coin et elle vient de faire la montée par le même chemin. Elle me confirme qu’elle a vu les fanions à la montée, donc que je suis sur le bon chemin. Elle se cale sur mon allure et nous discutons un  moment. J’en profite pour lui demander pourquoi les Italiens ici parlent si bien Français. Elle m’explique l’histoire de la région ainsi que les implications politiques. Pour faire court, l’Italien et le Français sont les deux langues officielles de la vallée d’Aoste.

Nous alternons entre bois et clairières et atteignons l’alpage Arp Vieille à 1950 mètres. Quel dommage que je m’interdise de courir. Ce type de terrain est parfait pour avaler les kilomètres. Encore faut-il que ma carcasse tienne le choc pour ne pas finir en tendinite un peu plus tard. Mon accompagnatrice s’est retrouvée toute seule parce qu’elle ne pouvait pas suivre son mari et ses amis pour cause de problèmes gastriques avec diarrhée à la clé. J’apprends qu’elle est bibliothécaire, ce qui explique que sa culture générale me semblait nettement au-dessus de la moyenne.

Ven 16h14, 1360m : nous traversons le Buthier par le pont Betenda. Le sentier continue à monter à travers bois sur une centaine de mètres de dénivelé, et conduit aux prés et au hameau de Closé. Mon amie me dit au revoir et me souhaite tout de bon pour la suite. Nous avons passé environ une heure et demie à papoter ; c’était très sympa.

Bientôt trois heures après mon départ du bivouac ; je n’ai quasiment rien bu et mon urine est toujours transparente. Affaire à suivre.

Je rattrape Laurent juste avant le ravitaillement. Il est très fatigué et me dit qu’il veut abandonner. Je lui prodigue donc mes conseils habituels : manger, repos, conseil médical et ensuite seulement, décision. Ne pas brûler les étapes de cette méthode qui a fait ses preuves.

Ven 16h41, 1464 mètres : arrivée au ravitaillement de Closé. Laurent ne m’a pas écouté. Il annonce tout de suite aux bénévoles son intention d’abandonner. Deux nanas bénévoles essaient pourtant de le faire manger d’abord. Rien à faire. Il s’entête et finit en sanglots, la tête entre ses mains. Ça me fait mal au cœur. J’irai lui serrer la main un peu plus tard.

L’histoire de Laurent que j’avais croisé plusieurs fois pendant la course me coupe un peu l’appétit, mais je me force à manger.  Et comme souvent, plus je mange, plus j’en ai envie. Je finis par m’enfiler une polenta avec des pâtes et une tranche de jambon blanc, plus deux verres de coca. Cela épate un coureur Italien qui me dit que s’il mangeait cela, il ne pourrait plus avancer pendant 2 heures.

J’apprends que l’organisation a déplacé la ligne d’arrivée à Saint-Rhemy en bosses, au km 303. Le col de Malatra (2936m), le dernier col avant l’arrivé, est glacé et nous ne sommes pas équipés pour évoluer en toute sécurité sur de la glace. Quel dommage, mais c’est la vie !

Je vais, comme prévu, consulter le corps médical au sujet de mon saignement de nez. Ils me rassurent : c’est courant avec les changements d’altitude et de température. Je ne dois pas trop m’inquiéter et je peux continuer la course. J’avais, comme d’habitude rempli mes 2 gourdes dès mon arrivée au ravitaillement ; il ne me reste donc plus qu’à remercier et saluer tout le monde, surtout Laurent, et à continuer mon bout de chemin.

Ven 17h06, 1464 mètres : c’est reparti, sous le soleil. Mais ça commence mal. Je me trompe de chemin, et je persiste dans l’erreur pendant 10 minutes. Bilan : 20 minutes de perdues, avec comme consolation que j’ai pu éviter à une fille d‘aller aussi loin que moi ; elle n’avait fait que 200 mètres d’erreur.

Je commence à grimper à travers champs, en suivant le sentier qui croise la piste par endroits. Il y pas mal de grosses racines et de rochers sur ce chemin, mais cela de gêne pas trop la progression. Après l’alpage Eclevey (1560 mètres), le sentier entre dans le bois où il commence à grimper plus franchement et débouche sur l’alpage Suchéaz (1995 mètres). Je dépasse un coureur Japonais qui tente d’accrocher mon rythme. J’appuie un peu sur le champignon, il décroche mais je me surprends encore à faire des pointes à près de 800 m de D+ / heure. Mollo Hervé ! Il faut dire que la première section de la montée est très sèche et se prête à une très belle vitesse ascensionnelle.

Ven 18h53, 2150m : j’atteins un petit balcon en sortie de forêt; l’absence d’arbres en aval de la pente permet de profiter d’une vue imprenable sur la chaîne montagneuse du Grand Paradis. Quelle chance : le ciel est bleu et sans nuages, ce qui donne une visibilité parfaite. 20 mètres plus tard j’entre à nouveau dans le bois vers l’alpage Brison.

Ven 18h59, 2187 mètres : petit ravitaillement sympathique à l’alpage Brison de l’Arp. Je prends juste un verre de thé chaud sucré et je repars aussi sec. Il faut admettre que je viens de dépasser 3 coureurs et que je veux creuser l’écart. Je suis dans mon jus de grimpeur le plus rapide … parmi les derniers coureurs.

Ven 19h17, je progresse sur une longue diagonale à mi-pente, un joli sentier balcon qui fait plusieurs montées à fort pourcentage, suivies de brefs replats. Je vois toujours le ravitaillement loin derrière et le chemin que je viens de parcourir. Mes poursuivants semblent y avoir fait une longue pause. Pourvu que je n’ai pas fait de bêtise …

Le sentier se met à former d’étroits lacets de pure caillasse, environ 50 mètres avant l’arrivée au col. C’est un col bizarre dans la pente d’une crête: je ne comprends que vers la fin où on va passer.

Ven 19h40, 2480m : arrivée au Col de Brison, une petite photo (qui permet de noter mon heure de passage) et je bascule sans tarder afin de profiter de ce qu’il reste comme lumière du jour.

La première partie de la descente est assez abrupte. Comme souvent ces derniers jours en début de descente, mes genoux me font mal alors je fais des pauses fréquentes et courtes. Ca y est, mon urine se colore un peu. Je vais recommencer à boire normalement. Je traverse pâturages et pierraille jusqu’à un plateau panoramique ; puis commence une longue diagonale à mi pente : encore un balcon sympa.

Ven 20h03, 2170m : la nuit tombe. J’aime progresser avec peu de lumière. Je vais essayer de tenir encore 20 minutes, puis je sortirai la frontale pour ne pas risquer chute et blessure ; ce serait trop bête à ce point de la course. Je suis dans un bois. Je passe à côté d’un banc rigolo : taillé dans un tronc. Quel travail de sculpture !

Ven 20h18, 1950m : j’arrive dans l’alpage Berrio Superiore Damon. Le chemin contourne une ferme. Il fait nuit et il y a de la brume. Ou alors c’est ma vue qui déraille … Pendant 5 minutes je ne suis pas trop sûr de par où il faut passer, mais je vois 2 frontales un peu plus bas, donc je fais mon chemin dans cette direction et je rejoins vite une piste.

D’abord dans les prés, puis dans les bois, la piste semble interminable. Globalement, elle descend, mais pas toujours. Je marche et j’envie ceux qui peuvent courir. J’ai si mal aux pieds ! Je fini par m’ennuyer de la marche, alors je tente un petit bout de course à pieds … pas si mal, ça passe plutôt bien. Je sens une petite douleur sur le côté du genou droit alors je marche à nouveau. Puis je tente à nouveau un bout de course. Puis je marche, puis je cours (petits pas aussi fluides que possible, allure ridiculement lente pour un coureur de marathon). Je fini par rattraper les 2 frontales que j’avais vues. Ils marchent, je cours, trop fort ! Ca me booste, alors je cours non-stop maintenant. Je vois une autre frontale devant … hue Hervé ! Mais que j’ai mal aux pieds ! Mes collègues aussi, je relativise. Et que cette piste est longue ! A peine un coureur dépassé que j’en vois un autre. La piste commence à faire des lacets. Un 4x4 me croise. Aaah ! C’est bientôt le retour à la civilisation. Je reprends 3 autres coureurs, puis je sors enfin de cette piste. Un peu de gazon, c’est le hameau de Rey ; un peu de bitume et j’arrive au ravitaillement ! Yes !


























































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