Pour une fois, je ne remplis pas mes gourdes tout de
suite. Je vais m’assoir à l’infirmerie. Pendant que j’attends, une personne qui
fait une étude sur les participants à cette course me demande pourquoi je
participe. Je lui dis que j’ai trouvé que c’était un excellent moyen de faire
un repérage rapide des meilleurs lieux de vacances tranquilles pour la famille.
Que c’est pour cela que je prends beaucoup de photos et que j’enregistre un
paquet de notes vocales en mode vidéo de mon appareil photo. Et bien entendu,
il y a aussi le défi personnel ainsi que le plaisir de passer 6 jours en
montagne. Évidemment, la deuxième raison que j’ai citée est en fait ma
motivation principale.
Trente minutes plus tard, mes pansements sont refaits à
neuf. Les anciens avaient bien tenu le choc. Je mange un bon plat de pâtes et
une compote. Puis je vais m’allonger un peu. Après une quarantaine de minutes,
le bruit et surtout la chaleur me réveillent. Il ne vaut mieux pas passer à
Donnas en milieu d’une journée ensoleillée ! Je me lève, je vais faire mon
sac dans la salle à manger, je remplis mes gourdes et go ! Tout cela m’a
quand même pris 2 heures de pause.
Haute Route #1
Mar 20h37, 330m : je repars pour commencer la Haute Route #1 de la vallée d’Aoste. C’est la deuxième moitié de la course. Ce parcours est décomposé en 17 étapes pour les marcheurs, sur le site officiel de tourisme de la vallée d’Aoste :
http://www.lovevda.it/turismo/proposte/sport/escursionismo/alta_via_1_f.asp?tipo=mista&pk_tour=39
Pour commencer : petite ascension de 2000 mètres. J’ai l’affreuse sensation d’avoir oublié quelque-chose. Je me dis que c’est mon cerveau en manque de sommeil qui me joue des tours. De toute façon j’ai blindé mon sac suiveur avec des Ziploc spécifiques à chaque journée et une check liste à l’intérieur de chacun. Effectivement, avec le recul, il s’avèrera que je n’avais rien oublié.
Mon idée est de rejoindre le refuge Sassa vers 1h du
matin pour y dormir 2-3 heures et de repartir avant le lever du soleil. J’ai
4h30 d’avance sur la barrière horaire. A cela il faut déduire le sommeil que je
reporte à plus tard. Ca va mais c’est juste.
Mar 21h00, 455m : la montée commence par de la route
goudronnée. C’est ennuyeux au possible, mais cela favorise la naissance d’une
idée géniale : et si j’essayais de retirer mes guêtres. Après tout, durant
ma semaine de randonnée sur le GR20, je n’ai pas eu ces plaques blanches sous
les avant pieds, puis les ampoules. Je n’avais pas mes guêtres sur le GR20. Par
contre je les portais durant la course Verbier St Bernard et j’ai souffert les
mêmes plaques blanches. Je retire donc mes guêtres. Tant pis pour les cailloux
et les brindilles dans les chaussures ; je préfère m’arrêter de temps en
temps pour les retirer. Ca me fera des petites pauses et des étirements.
Mar 21h50, 600m : malgré une pluie fine et la nuit
noire, je commence à me sentir bien à nouveau. Je suis seul depuis Donnas. Je
ne vois aucune frontale, ni devant ni derrière. Le moral est au beau fixe. J’ai
la sensation de prendre de l’avance sur la journée suivante. Je calcule que mes
journées sont longues : elles commencent de nuit à 5h du mat, pour
profiter du lever du soleil, et se terminent vers 1h du matin. Quelle vie de
fou diraient mes amis qui me considèrent (à tort) comme un grand malade !
J’ai passé Perloz qui m’a surpris par sa proximité de Donnas. J’ai eu droit à
un accueil très bruyant. Beaucoup de jolies filles au ravitaillement. Elles
m’ont rempli mes gourdes et donné un bout de chocolat. Une fois passé la ville
je commence à sortir de la zone du bitume et à revenir dans le vert. Vivement
que je sois à nouveau en forêt et que les arbres me protègent. La pluie devient
drue, mais reste fine ; elle est
plutôt la bienvenue pour me rafraichir car il fait bien chaud. Je suis en
maillot à manches courtes et collant 3/4. Ce sont des vêtements techniques qui
sècheront très vite, même de nuit, quand la pluie cessera.
Mar 22h00, 665m : depuis Perloz le chemin est très
particulier. 50% citadin, 50% nature, le chemin monte, puis descend et monte à
nouveau. Nous avons droit dans un premier temps à beaucoup de marches
d’escalier. Nous passons à côté de nombreuses maisons, petites terrasses avec
des toits de vigne qui me donnent envie d’y faire un petit somme. Il s’agit en
fait de vignes cultivées en terrasses. Je suis sorti de la ville mais je vois
un petit hameau plus loin vers lequel le chemin se dirige.
Mar 23h20 : la commune de Perloz n’en finit pas. Je
passe de hameau en hameau. Ca doit être vraiment chouette de faire ce chemin de
jour. Je suis dans la vallée du Lys. Je passe sur le fameux Pont Morettaz avec son
petit toit au milieu, qui enjambe le bruyant torrent du Lys. Je me moque de
moi-même : quelle idée de prendre des photos de nuit en montagne !
Mar 23h55 : ça y est, je vois les frontales de 2
coureurs qui m’avaient étés annoncés 10 minutes devant moi à Perloz. Comme
d’habitude, dès que ça monte sec, je double… Ca me booste le moral, depuis plus
de 3 heures que je suis tout seul ! On dirait que ma stratégie de dormir
en refuge et non pas en base vie n’est pas partagée par beaucoup. Je dépasse un
grand coureur Italien. Il est en sueur alors que nous n’allons pas bien vite et
il zigzag un peu. Il arrivera 1h10 après moi au refuge et abandonnera.
Il est minuit, je vais bien. Je n’ai pas encore sommeil.
J’enregistre ce qui me passe par la tête. Je marche à petits pas rapides sans
trop m’essouffler. Merci au GR20 qui m’a appris à marcher avec des bâtons et le
poids du sac de randonnée en plus. A refaire.
La pente s’accentue et je me surprends à monter à 600 m
/h en fin du 3ème jour, après 150km. J’avais prévu 450 m/h. Je
laisse mes jambes faire, puisque je m’étais promis que si je me sentais bien au
4ème jour je pouvais relâcher un peu ma discipline de bridage du
début de la course. Je vois 2 autres coureurs devant. Ils me voient et
résistent un bon moment à ma remontée. Qu’importe, je reste à mon rythme.
Finalement je les double et je suis un peu surpris qu’ils décrochent brutalement.
En 3-4 minutes ils sont déjà 50 mètres en dessous. Ils auraient du rester à
leur rythme du moment.
Mer 0h45, 910m : je suis dans le hameau Fangeas
(commune de Lilliane). Court replat et on repart dans la pente. Normalement la
nuit n’est pas mon élément. Mais en ce moment je suis dans le jus. Certainement
en grande partie parce-que je suis heureux de ne pas être seul et que je joue
un peu avec les autres. J’aimerais bien trouver quelqu’un avec qui je puisse
discuter soit en anglais, soit en français ou en espagnol.
Mer 0h58 1050m : je rejoins un groupe de 3 coureurs
italiens qui se restaurent. « Buonasera » dis-je. Ils me répondent
idem. Quelle maîtrise ! (mdr) J’enchaîne d’un bon pas et … je vois qu’ils
se lèvent et qu’ils accrochent 20 mètres derrière. Cool ! Ca me tiendra
éveillé jusqu’au refuge Sassa qui se trouve à 1300m. Nous montons un chemin d’alpage avec peu de
lacets et qui monte sec. Après un échauffement de 5 min, je passe de 600 m/h à
720 m/h. L’un des 3 est plus en forme que les autres. Après 100 mètres de D+ à
cette allure, le 3ème italien ne suit pas et le premier cesse la
poursuite. Fin du jeu.
Peu après je commence à apercevoir les lumières de Sassa,
le refuge. J’espère y trouver un endroit pour m’allonger, même si
l’organisation n’y a pas prévu de couchages. Il faut que j’aie l’air crevé. Je
ralentis donc mon allure. Les bénévoles sont sous une tente dehors. Je fais
deux courtes pauses sur le chemin qui passe sous la tente. Puis je fais un ou
deux pas de travers juste avant d’arriver à la tente.
Mer 01h35, 1305m : arrivée au refuge de Sassa. Les
bénévoles m’applaudissent et m’encouragent. Dès que j’arrive, je trouve une dame
qui a l’air sympa, lui sors mon « buonasera » le plus courtois
possible, lui demande si elle parle français, puis lui demande si je peux
m’allonger 2 heures quelque-part au chaud, même par terre. Elle me répond
qu’elle a déjà refusé cette demande à plusieurs coureurs avant moi mais comme
j’ai l’air fatigué c’est ok pour 2 heures. Elle me montre une banquette de bar
à l’intérieur. Super ! Le luxe. 3-4 coureurs dorment dans cette pièce. Il
y fait chaud. Je retire mes chaussures et chaussettes, me fais un petit massage
de pieds 3 minutes, je m’allonge et je m’endors en … moins d’une minute je
pense.
Je me suis juste réveillé une fois. J’avais froid. J’ai
donc mis ma polaire ainsi qu’un bandana sur la tête. Il aurait fallu que je
fasse cela avant de me coucher, même si j’avais bien chaud.
Mer 3h35 1305m : je me réveille juste avant que ma
montre ne sonne. Je sors me ravitailler. Malgré 2 bons bouillons chauds je
tremble toujours de froid. J’avale rapidement pain et fromage. Je remplis mes
gourdes, je remercie les bénévoles et à 3h45 je disparais dans la nuit. Je sais
que le seul moyen de me réchauffer est de grimper vers Coda. J’en ai pour 919 m
d’ascension. 2h de prévues comme le terrain est réputé de progression
difficile. Je devrais donc y arriver avant le lever du soleil.
Mer 4h30, 1740m : C’est mercredi, je me réveille
vraiment sur des sentiers qui vont globalement relativement droit dans la pente.
Le mental est bon. Pour la première fois, je me vois vraiment en finisher. Je
conçois bien qu’il reste 4 jours et que rien n’est joué. Mais je me dis que
j’en ai déjà bien bavé et que j’ai tenu le choc. Donc je devrais pouvoir gérer
ce qui m’attend. Ce que je ne savais pas c’est je n’avais encore rien vu…
Mer 4h45, 1900m : éclat de rire. Je me la pète
grave. Je me fais des photos auto portrait comme Kilian. Comme si je n’avais
rien de mieux à faire… Je fais une découverte : après un bon coup de flash
dans la gueule, la vision de nuit, elle est foutue pendant 2-3 minutes au moins !
Enfin, réveil et échauffement compris, j’ai quand même
avalé 600m de D+ en 1 h. Par rapport aux 450m prévus, je suis surpris. Pourtant
je n’ai vu personne. Donc j’ai été raisonnable…
A partir de 1900m, je suis dans la zone des blocs de
pierre qui rendent la progression difficile. Je l’avais reportée sur mon profil
de course suite à la lecture de récits de course de l’édition 2011. J’y passe
bien 40 minutes et je fais même un retour arrière pour vérifier que je ne me
trompe pas de chemin quand j’arrive à une descente de 10m un peu vertigineuse.
Mais à part ce passage, globalement le balisage est si rapproché qu’il n’y a
vraiment pas moyen de partir dans la mauvaise direction.
Mer 5h47, 2140m : j’arrive à ce qui me semble être
un col et qui annonce le refuge Coda à 30 minutes pour les randonneurs. La nuit
est étoilée mais le vent souffle et je dois presser le pas pour ne pas me refroidir.
Je suis toujours seul depuis mon départ du refuge.
Rapidement je vois les lumières du refuge de Coda. Mais
il reste bien 20 minutes pour les atteindre. Encore une fois, c’est bien
dommage de passer cette section de la course de nuit. La vue doit être magnifique
de jour.
Mer 6h00, 2210m : le vent souffle et il fait froid.
Je dois faire attention au sentier pour ne pas me tromper. Je passe devant un
panneau « area a caccia specifica ». Mes recherches sur internet (après
la course) indiquent que ça veut dire chasse spécifique, donc réglementée.
Mer 6h11, 2224m : Coda ! J’ai mis plus de 2h30
pour l’atteindre, soit 30 minutes de plus que prévu. Heureusement que j’ai
dormi à Sassa. J’ai 15 minutes de retard sur mon planning ; une broutille
considérant que nous sommes au 4ème jour de la course. C’est un peu
la cohue : une vingtaine de personnes dans la salle à manger. Il y a des
dortoirs derrière la salle à manger, mais je n’en ai pas besoin. Nos hôtes
semblent un peu dépassés, mais de très bonne volonté. Une dame me demande ce
que je veux boire. Un thé chaud s’il vous plait. Vue l’heure, j’ai envie d’un
petit déjeuner copieux. Je me fais 5-6 tartines avec beurre et confiture. Je
repars après 15 minutes environ.
Nous allons contourner le Mont Mars, pour rejoindre le
lac Vargno. Après une descente un peu technique nous évoluons désormais dans
une alternance alpage / rocaille. Sur le plat, je cours volontiers alors que je
ne le faisais pas hier pour cause de pieds douloureux. Ca va mieux. A la fin
d’1 petit km de piste plate, je rattrape deux filles très bavardes : une
Suissesse qui parle si bien Anglais que j’aurais juré qu’elle était Américaine,
et une canadienne. Elles parlent de mecs et de mauvaises rencontres. C’est
marrant ; elles sont sympa et me laissent prendre un peu part à la
conversation. Puis le chemin se met à descendre et elles vont plus vite que
moi. J’apprécie le silence …
Mer 8h50, 1670m: après une descente sèche mais agréable
de 200m sur un chemin monotrace en sous-bois, nous traversons une passerelle en
béton sur le lac Vargno et remontons doucement vers le ravitaillement qui se
cache 20 mètres plus haut à 1686m. A première vue, ce ravitaillement semble
basique : petite table sous un haut vent, fromage, saucisson, pain,
raisins, boillon, thé. Mais il suffit de demander s’ils font des pâtes … et ils
nous invitent à aller dans le petit refuge. Et là : quelques lits à gauche
et salle à manger à droite avec une seule grande table. Une dizaine de
coureuses et coureurs discutent en plusieurs langues autour de la table.
Ambiance chaleureuse, pâtes à gogo et même vin rouge pour les plus audacieux
(je n’y ai pas touché). Comme d’habitude quand un ravito est trop agréable,
j’essaie d’en repartir rapidement de peur de rester scotché.
Mer 9h15 : je repars sur un sentier pavé de pierre
comme en ville, mais dans l’herbe en version montagne. Ca monte sec, les
pierres sont disposées en escalier. Les sapins sont trop espacés pour que l’on
puisse parler d’une zone forestière. J’ai
1h de retard sur mon planning qui ne prenait pas en compte les nombreux
« coups de cul ». Ce n’est pas grave, je me referai plus tard. Il me
reste 2h45 d’avance sur la barrière horaire.
Mer 11h07, 2300m : je viens de passer le col
Marmontana. Il y faisait très froid. J’ai mis ma polaire ainsi que mes
bandanas : un sur la tête et un en foulard. Mes genoux font mal devant
dans la descente, particulièrement quand il fait froid. Sentier mono trace pas
très technique, mais parsemé de rochers qui empêchent d’aller bien vite.
Mer 11h41, 2050m : après une descente de 300m nous
avons trouvé un tout petit ravitaillement, certainement le plus petit du
circuit. Fait marquant : j’ai gobé un œuf dur, ce qui a bien plu à la dame
bénévole qui m’a dit que ces œufs avaient étés pondus par ses poules. Le temps
de boire 1 thé chaud puis d’embarquer 3 bouts de fromage et un bout de
saucisson et je repars aussi sec pour rester chaud. J’espère que cet œuf ne me
posera pas de problèmes de digestion …
Je commence donc les 300m d’ascension de Crema Douleui
qui devraient me réchauffer. Malgré la lenteur de ma progression, le fait que
j’ai beaucoup moins mal aux pieds depuis que j’ai retiré mes guêtres me donne
le moral. Je prends un moment pour contempler le paysage. A cette altitude nous
avons un mélange de zones rocheuses de haute montagne et de zones de sapins de
moyenne montagne. C’est varié et agréable. Petite maison dans la pente
totalement recouverte de pierres. Hallucinant.
Mer 12h18, 2350m : Crema Douleui, une col
inoubliable. Les 80 derniers mètres de la montée sont assez techniques. 100%
pierrier avec une petite traverse vers la fin. Et ce n’est rien comparé aux 50
premiers mètres de descente de l’autre côté : lacets serrés sur terrain
vraiment très pentu, un passage qui serait très délicat par météo pluvieuse. Je
viens de dépasser une coureuse japonaise, mais j’ai 1h40 de retard sur mon
planning.
Mer 13h08 : ça fait un moment que je traverse
ces montagnes russes. Je n’en vois pas la fin. J’ai perdu mes repères. C’est
toujours ce sentier monotrace parsemé de rochers qui rendent la progression
lente. Je suis inquiet à cause du retard
que j’accumule. Je trouve que je manque un peu d’énergie, alors je mange ces
bonnes petites choses que j’ai emmenées dans mon sac : pretzl, noix de
cajou, cacahouètes Wasabi et une barre Mars ! Je vois mon amie japonaise
qui me rejoins, alors je lui propose mes cacahouètes Wasabi – elle n’en croit
pas ses yeux et éclate de rire ... mais elle n’en prend pas. Peu de temps
après, j’arrive au ravitaillement de Vecchia, qui se situe en contrebas, avant
le col. Ils n’ont plus assez d’eau pour tout le monde alors je ne remplis
qu’une gourde.
Mer 13h36, 2180m : arrivée au Colle della Vecchia.
2h10 de retard sur mon planning. Comme quoi il faut aussi prendre en compte la
nature du terrain pour faire une prévision de course.
Mer 14h05 : mon talon d’Achilles droit me fait mal. Je
descends en faisant attention de ne pas trop le solliciter. Je n’arrête pas d’y
penser. J’ai beau me dire que le service médical de Niel me trouvera un
traitement d’urgence pour que je puisse continuer la course, je ne parviens pas
à m’en convaincre. Je me vois abandonner. Je broie du noir foncé.
Mer 15h00: le ciel est gris. Aucune trace du soleil
depuis plusieurs heures. Depuis un moment, je traverse une zone forestière de
sapins. Ca monte et ça descend, c’est très sympa. Malgré mes soucis, j’arrive à
profiter du décor. Et je ne suis pas le seul à souffrir. Je viens de reprendre
et distancer un gars en descente, alors qu’il m’avait dépassé dans la montée
qui précédait. Maintenant je me fiche du chrono. Je me contente d’un rythme
lent pour pouvoir profiter de cette randonnée aussi longtemps que possible. Je
réalise aussi que je vis les derniers jours de course à pied de cette saison.
Il faut donc vraiment apprécier ce qu’il me reste.
Les 200 derniers mètres de descente en forêt deviennent
faciles à courir. Dommage que je ne puisse pas. Avant cela nous avions de
nombreuses hautes marches rocheuses qui faisaient mal aux genoux, même en
marchant.
L’arrivée à Niel est très aquatique comme j’aime. C’est
apaisant le bruit que font une rivière et ses cascades. Nous arrivons
directement au ravitaillement, sans passer par une longue section goudronnée.
Mer 15h54, 1573m : arrivée à Niel. Je demande le
service médical. Il faut redescendre les 10 mètres d’escalier. Grrr.
J’interrompt la sieste de la dame médecin et je m’en excuse. Elle me dit dans un
très bon français qu’elle était juste allongée, qu’il n’y a pas de soucis. Elle
inspecte mon talon d’Achilles et me dis que ce n’est pas trop grave. Elle le
masse un moment avec une crème anti-inflammatoire et me donne aussi une poudre
diluée à avaler. Verdict final : j’ai son feu vert pour continuer la
course à rythme modéré en montée. Un gros nuage noir vient de se dissiper…
Je remonte au ravitaillement, je mange un morceau, puis
je repars sans tarder car j’ai froid. Le soleil apparait à travers les nuages.
Décidément, un bonheur n’arrive jamais seul !
Mer 17h30, 1573m : je repars après 1h30 de pause.
J’y vais très prudemment au début, mais après 10 minutes je me surprends en
excès de vitesse ascensionnelle : 600 m/h en instantané au lieu des 400 prévus
pour commencer… c’est plus fort que moi. Heureusement que j’ai cet altimètre
pour me rappeler à l’ordre. Comme mon talon me fait encore un peu mal, je
décide de mettre toutes les chances de mon côté. J’appelle Olivier, un ami
finisher de la Tor 2011 qui suit ma progression sur internet et m’encourage par
SMS. A cette heure le mercredi il doit être au boulot. J’ai de la chance, il
est en pause café et il décroche. « As-tu déjà géré un soucis au talon
d’Achilles pendant une course ? »
Il répond que non. Je lui résume ma situation. Il me dit qu’il va faire
des recherches sur Internet et m’envoyer des conseils par SMS. Ensuite je
contacte un autre ami proche : Fred. Aussi ultra trailer et plein de
ressources. Il fait la diagonale des fous cette année. Comme il ne répond pas
je lui laisse un message. Je reçois un SMS d’Olivier. Il me conseille
anti-inflammatoire, hydratation et de bricoler une talonnette. Je me transforme
en MacGyver. J’enroule un gant de soie dans de l’élasto pour former une talonnette.
Fred me rappelle. Nous n’arrivons pas à discuter, la réception est devenue trop
mauvaise. J’arrive à lui faire comprendre d’appeler Olivier pour les détails.
10 minutes plus tard je reçois un SMS de Fred qui attend un retour d’un ami
Kiné. Là je me dis que si je parviens à terminer cette course, ce sera vraiment
un résultat d’équipe. Et encore … je n’avais pendant la course aucune idée de
ce que ces deux là tramaient pour m’accueillir avant l’arrivée … Peu après je
reçois un SMS de Fred. Conseils : hydratation, anti-inflammatoire avec
film plastique, strap dur jusque mi- mollet. Grosse émotion : je n’ai pas
le droit de décevoir mes potes. J’ai eu besoin d’eux et pleine journée au
travail, ils ont tout mis de côté et m’ont vraiment épaulé. Il FAUT que je
finisse !
Mer 18h44, 2400m : Col Lazouney, il fait beau mais
le vent souffle vraiment fort et augmente ! Mon pote Alain m’a rejoint et
pars devant pour « passer sous le vent ». Le col est une énorme zone
d’alpage. Après 30 minutes de marche / course (tant pis pour le talon
d’Achilles, il faut avancer pour rester chaud), je me demande encore quand je
vais passer sous le vent, qui souffle de plus en plus fort. Comme ce passage ne
me donne pas l’impression d’être disposé à basculer en véritable pente
négative, je fini par m’abriter derrière un rocher et enfiler tout les
vêtements que j’ai dans mon sac : polaire, coupe-vent, bandana en écharpe
de désert, bandana sur la tête, casquette super serrée et gants. Je repars
blindé et je défie les éléments de mettre à mal mon armure et mon mental. Bien
entendu, avec tout cela, j’ai totalement oublié mon talon d’Achilles.
Mer 19h40, 2055m : j’arrive à Oberloo. Ils ont bien
une table en extérieur mais le bénévole que j’y trouve m’invite tout de suite à
rentrer dans le refuge, à l’abri. J’y trouve 5 coureurs attablés. Je bois un
bon bouillon et je mange un peu. Deux autres coureurs rentrent. L’un d’eux est
véritablement congelé. Notre hôte prie une équipe de 3 coureurs de rependre
leur chemin pour faire de la place. Je suis le mouvement et les accompagne dans
la descente.
Mer 20h15, la nuit tombe quand nous atteignons la forêt.
Enfin à l’abri. La descente est relativement technique (nombreux blocs et
roches, terrain instable), mais il est possible de courir de temps en temps. Je
reste avec notre petit groupe bien que je pourrais partir devant. Je n’ai juste
pas envie d’être seul.
Mer 21h17, nous arrivons sur une piste qui débouche sur du bitume 10 minutes plus tard. Je prends une photo nocturne du panneau Gressoney Saint Jean. Je suis fier d’avoir parcouru 200km. C’est la première fois que j'atteints cette distance. A 21h37 j’arrive enfin au ravitaillement, à 1329m d’altitude. Ce bitume me fait mal aux pieds mais j’ai vu pire …
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