Gressoney – km 200

Je demande les services médicaux pour regarder ce talon d’Achilles. J’en ai pour 15 minutes d’attente car je ne suis pas le seul et il n’y a qu’un seul médecin. Il retire mes pansements pour les ampoules, les refait en disant que mes pieds sont en bon état. Puis il regarde mon talon, confirme que ce n’est pas grave et me fait le strap recommandé par Fred. Ensuite je mange rapidement un bon plat de pâtes, je fais mon sac de course et je vais au lit. La barrière horaire étant à 01h00, je mets le réveil à 00h40, ce qui me laisse 2h de sommeil.



Jeu 00h45, j’ai eu du mal à me réveiller. Je suis à la bourre et dans le brouillard. Je resterais bien ici comme d’autres qui ont renoncé. J’ai tellement besoin de me reposer !!

Jeu 00h55, 1329m : j’entame la 5ème « randonnée » dans un état pitoyable : je tremble de froid à cause du vent qui souffle fort et je tombe de sommeil. Mais j’ai une arme secrète que j’avais mise dans mon sac suiveur au cas où : ma polaire de finisher UTMB 2006. Ce n’est pas une polaire de coureur mais une polaire de marcheur. Elle ne tient pas dans mon sac de course alors j’ai prévu 2 épingles à nourrice pour l’accrocher derrière mon sac. Tant pis, elle pendra comme une cape. Puisse-t-elle me porter chance.

Nous commençons par 4km de plat autour de la ville, que j’aurais bien voulu voir de jour. Ensuite, petite ascension de presque 400m jusqu’au refuge d’Alpenzu. C’est mon objectif. Je prévois de m’y arrêter 2 heures pour dormir un peu plus. Comme la nuit n’est pas mon élément,  j’accroche un groupe d’italiens, dont un qui parle français. Un autre français, Laurent, nous rejoint. Cool, il est à la masse comme moi. J’ai de la chance de trouver ce compagnon.

Les italiens nous attendent un moment dans la montée, mais finissent par accepter de nous laisser. Effectivement, quelques minutes plus tard ils sont bien loin. Laurent et moi continuons tranquillement. Je pourrais aller plus vite ; je commence à retrouver la pêche. Mais je préfère ne pas être seul et cela me permet aussi de tester ce strap à la cheville. Le vent souffle fort, mais nous sommes protégés par la forêt.

Jeu 02h40, 1788m : arrivée à Alpenzu, enfin ! Comme la veille, je demande à m’allonger une heure. Laurent suit le mouvement. Notre hôte résiste ; il me dit que nous n’avons pas le temps, que la scopa (coureurs balai) va bientôt arriver. J’insiste : ils n’ont qu’à nous réveiller quand ils passeront. J’obtiens gain de cause : notre hôte nous amène à un dortoir où nous retrouvons 2 autres coureurs.

Jeu 4h20 : je me réveille. M… ! On a largement passé l’heure ! Laurent pionce encore. Nous sommes trois dans le dortoir. Pourquoi ne nous a-t-on pas réveillés ? Je secoue un peu Laurent qui percute tout de suite et se chausse. Nous descendons et trouvons notre hôte en bas de l’escalier. « Vous pouvez retourner vous coucher, la course est arrêtée » En fait, les intempéries sont telles sur certaines parties du parcours que les organisateurs ont demandé par radio à tous les refuges d’arrêter les coureurs jusqu’à nouvel ordre. Je ne me fais donc pas prier : dodo jusqu’à nouvel ordre.

Jeu 7h40 : quelqu’un me réveille. Nous allons bientôt partir. Je suis surpris par l’heure. Quelle aubaine ! J’ai refait le plein de sommeil. En bas, nous rejoignons une quinzaine de coureurs et prenons un bon petit déjeuner. Thé chaud, tartines au beurre et à la confiture pour moi. Du miel aussi.

Jeu 8h50 : Départ dans 10 minutes. La radio annonce que les barrières horaires sont reculées de 5 heures. J’ai hâte de découvrir cette section de la course qui nous permettra de contempler trois géants alpins : Mont Rose (4684m), Cervin (4478m) et Mont-Blanc (4810m).

Jeu 9h00, 1788m : nous partons tous. Une pensée pour notre hôte qui n’a pas fermé l’œil de la nuit, pendu à la radio et à notre service. Il va pouvoir se coucher, enfin. Aujourd’hui c’est jeudi. Nous faisons la petite randonnée. Je devrais finir pas trop tard au km 236. C’est déjà une sacrée distance. Je me demande si mon talon va tenir le choc. Il faut y aller mollo et coller aux barrières horaires. Nous commençons par 1000 mètres à grimper pour atteindre le col de Pinter.

La première partie de la grimpée est protégée du vent. Le soleil commence à réchauffer la montagne. Nous ne bénéficions plus de la protection de la forêt : nous progressons sur un monotrace en alpage. Nous passons à côté de deux chalets et le vent commence à souffler à nouveau. La vue est absolument superbe, le sentier fait balcon de temps en temps et nous avons le Mont Rose droit devant. Plus nous montons, plus le vent souffle, mais aussi plus le soleil commence à chauffer. Le chemin reste vert et facile jusqu’en haut. Nous voyons arriver le col et sommes toujours dans le vert.

Jeu 11h16, 2777m : Col Pinter, vue imprenable sur 2 géants : Mt Rose et Mt Cervin. Mais le vent souffle et il fait bien froid. Je ferme ma polaire et mets un bandana autour du cou et sur la tête et zou !

Ma cheville a bien tenu en montée, maintenant je vais voir sur la descente. En tous cas, ce gros carré d’élasto ne tire plus sur la peau comme au début. Et … mes ampoules ne me font plus vraiment mal. Donc ça va mieux.

J’ai 700 mètres à descendre pour atteindre Cuneaz. Ca commence très technique. Pierrier, puis blocs, même une petite main courante dans une section ravinée dans la roche. Passé les 200 premiers mètres, nous continuons sur un chemin de rocailles en lacets assez serrés. Je fais une courte pause tous les 100m. Mon altimètre est bien utile pour mesurer le dénivelé parcouru. C’est une grande aide pour le mental.

Vers 2200m nous retrouvons enfin la piste sur alpage. Je peux penser à autre chose qu’à où je mets mes pieds. Nous sommes passés à côté de torrents encore gelés. Il a du faire drôlement froid ici hier soir quand ils ont arrêté la course ! J’imagine les coureurs dans cette section entre 3 et 4 heures du matin…

Il est midi. Il fait chaud. Ma polaire noire s’est transformée en cape de super héro. Je suis content d’être ici, en vacances au paradis, et encore en course jeudi. Le temps passe vite. Je me dis que si j’abandonne, j’irais au travail vendredi. Hors de question : je veux mon vendredi de vacances aussi. Il faut que ma carcasse tienne le choc. Et si éventuellement je pouvais continuer la course pendant le week-end, ce serait bien cool.

A 13h je passe à Cuneaz. Un groupe de touristes m’encourage. En contrebas de Cuneaz, après une épingle à cheveux de la piste que je suis depuis un moment, je passe devant une petite auberge très discrète. Un homme est assis à l’ombre à une table sur une petite terrasse tout aussi discrète. Il répond à mon « buongiorno ! » en me proposant une des boissons sur son plateau : il y a ice tea, jus de fruits et coca. Au moment où je m’assois en acceptant avec plaisir, une dame sort de cette auberge qui a juste l’air d’une maison normale. Elle me demande ce qui me ferait plaisir. Je demande s’ils auraient une bière. « Mais bien sûr ! » dit-elle en faisant demi-tour. Trois minutes plus tard je dégustais une délicieuse pression blonde en discutant en français avec mes hôtes. Nous avons parlé de la montagne et de la course. Quel moment unique ! Je suis reparti 10 minutes plus tard en m’excusant pour mon empressement dû aux barrières horaires relativement proches.

La suite du chemin monte derrière mon auberge favorite, en direction d’une petite forêt de sapins. Aucun souci pour la montée, je suis boosté à bloc ! Il fait chaud maintenant. Le ciel est bleu avec quelques rares nuages blancs. Je suis content de trouver de l’ombre quand j’en trouve. Qu’est-ce que j’ai bien fait de ne pas abandonner à Greyssoney ! J’aurais loupé cette belle journée du jeudi et ce moment d’accueil magique.

Jeu 13h13, 1958m : je suis toujours sur mon nuage quand j’arrive au refuge Vieux Crest. Déjà ? Il faut dire qu’aujourd’hui je ne suis pas mon planning de prêt. Et je n’ai pas besoin d’un autre ravitaillement si proche de Cuneaz. Mais bon … j’en profite pour recharger mes gourdes et pour manger un morceau. Ca me servira à « caler » la bière. J’en ressors rapidement, laissant 5 ou 6 coureurs continuer de se reposer un peu.

Jeu 13h29, 1958m : nous continuons sur de la piste qui monte dans la forêt. J’en suis à mon 2ème gros coup de cul et j’envoie du 720 m / h. Je ne m’en serais pas cru capable après 220 km. Je reprends un coureur Italien ; personne ne m’a doublé depuis longtemps.  Ca devient rare de rencontrer des collègues ! Je remarque que les montagnes en face, qui ne me semblent pas si hautes que cela, sont pourtant couvertes de neige. Il s’agit probablement d’une conséquence des intempéries de ce matin.

Jeu 14h02, 1979m : nous sommes sortis de la forêt de sapins et nous arrivons à la station de ski Monterosa. La vue est magnifique mais le chemin est une piste monotone. Par contre c’est roulant. Pour les gens capables de courir, c’est un terrain qui permet d’avaler les kilomètres. Je rattrape Alison, une bonne marcheuse anglaise, qui m’avait dépassé dans la montée au départ du refuge Alpenzu. Elle va plus vite que moi sur le plat, mais comme d’hab, je la reprends en montée. Nous faisons une heure de route ensemble, jusque Saint- Jacques. Les 400 mètres de descente jusqu’au ravitaillement me font vraiment mal aux genoux. Alison descend plus vite, mais à peine arrivés en bas, je remarque que sa posture est inclinée vers la gauche. Son épaule et son bras droit sont plus haut que son côté gauche. C’est elle qui en parle, mais à peine 50 mètres avant le ravitaillement. Elle veut arrêter la course ! Je lui conseille ma méthode de gestion de crise : manger, repos, conseil médical si nécessaire, et seulement une fois ces 3 choses faites, prise de décision. Interdit les décisions à chaud à peine arrivé au ravitaillement ! Mais … elle ne m’écoute pas.

Jeu 15h07, 1700m : Saint-Jacques. J’ai décidé d’y faire une sieste de 20 minutes. Je commence donc par remplir mes gourdes, ensuite je mange un peu, puis je demande à m’allonger 30 minutes (astuce). Première réponse : pas possible, vous n’avez pas le temps. Pas disposé à accepter une réponse négative, j’insiste poliment. Un autre bénévole qui a l’air d’être le chef accepte de me conduire au dortoir au premier étage. J’y suis seul. Je vire mes chaussures, mais pas mes chaussettes. Je me masse les pieds rapidement, je programme ma montre pour qu’elle sonne dans 23 minutes et je m’allonge. Un peu plus tard, cette fois, c’est ma montre qui me réveille. Je remets mes chaussures rapidement et je profite d’avoir de vraies WC. A peine mon affaire terminée, le chef bénévole arrive à l’étage pour me réveiller. Je descends, mange un peu de pain + fromage et je pars en remerciant les bénévoles.

Jeu 15h45, 1700m : Saint-Jacques, je me remets en route. Au programme, 1070m d’ascension au Col de Nannaz, répartis sur 6.7km. Globalement, une douce côte, puisqu’une montée de 1000m de D+ vraiment dure se fait sur une distance de 4km. Après une courte section de bitume, un petit chemin en alpage me mène en forêt où la montée sèche commence. Le chemin reste étroit avec quelques racines et rochers. Je monte à petits pas réguliers en poussant bien sur les bâtons.

Jeu 16h12, 1877m : arrivée au refuge « A Croues » où je salue un coureur japonais qui se soigne les pieds. Le chemin continue en forêt avec des petits bouts d’alpage. Nous passons une cascade. C’est une section très agréable, qui monte un peu moins que le début.

Jeu 16h34 : je sors de la forêt je rejoins sur piste. Surprise : énorme troupeau de moutons et quelques chevaux. Nous discutons … enfin c’est moi qui leur parle … je suis au paradis …

Les fanions jaunes (ce sont les balises « TDG ») me font sortir de la piste à droite sur monotrace en alpage. C’est parti pour une section de faux plat sur laquelle on trouve quelques sapins. Le ciel est bleu clair, mais il fait froid. Je me dirige droit vers le soleil, dans une espèce de cirque : ça monte partout devant et sur les côtés. Il n’y a pas un chat : personne derrière ni devant. Le soleil est juste sur la crête, droit devant. Il me gêne pour voir le chemin, mais je suis bien content qu’il me chauffe. Je réalise que le fait de l’avoir droit devant signifie que je me dirige vers l’ouest, vers Courmayeur ! Mon talon d’Achilles ne me fait plus mal ; mes ampoules non plus. Mon moral est donc au beau fixe. Je vais la finir cette course !

Après 15 minutes de faux-plat, le chemin fait un virage à droite et recommence à grimper dans une zone d’ombre. J’essaie de rester en manches courtes le plus longtemps possible. Pour l’instant je tiens, mais c’est juste. Je recommence à faire mes petits pas et à bien pousser sur mes bâtons. Miracle, je vois enfin 2 coureurs, 200m devant et 50m plus haut. J’accélère un peu et je parviens à les rattraper juste 10 minutes avant d’arriver au refuge. Ils sont italiens et parlent Français. Nous discutons un court moment.

Jeu 17h42, 2535m : Refuge Tourmalin. Les coureurs sont accueillis au son assourdissant produit par une rangée de huit cloches à vaches. C’est original … Il n’y a qu’un autre coureur dans le refuge, et il s’en va quand j’arrive. Ce n’est pas la cohue ! La bénévole en chef me propose une vraie soupe de légumes. Je suis tellement impressionné que je la prends en photo (la soupe). J’ai passé un bon moment culinaire et humain dans ce ravito. Je pars car le faut… « Mille gracie, arivederchi ! » dis-je en sortant.

Jeu 17h55 : je descends un peu sur piste, puis j’entame un chemin monotrace dans la pierre. Même pas 300 mètres à grimper. Une broutille… Durant presque toute l’ascension, je peux regarder derrière moi pour voir le refuge. Mes deux poursuivants sont 100 mètres plus bas. Mais ils montent moins vite que moi. J’espère donc plutôt trouver de la compagnie devant.

Jeu 18h30, 2773m : je suis arrivé au col de Nannaz. Le coureur que j’ai dépassé juste avant le col accepte de me prendre en photo avec  mon appareil. Je fais de même avec le sien et je ne traîne pas sur ces lieux venteux car je ne veux pas mettre ma polaire trop tôt. Pour l’instant je suis en maillot à manches courtes avec mes 2 bandanas habituels.

Jeu 18h59, 2696m : A peine 1,5 km plus tard, je suis au col des Fontaines. C’est mon col favori depuis le début de la course. Je suis entouré de montagne : crêtes et sommets tous azimuts, avec 1 vallée proche de chaque côté. Je suis véritablement émerveillé par le paysage. Après quelques photos, qui n’y feront probablement pas justice par rapport à ce que notre œil perçoit, je commence les 1200m de descente vers Valtournenche – Crétaz. Je suis heureux de pouvoir profiter de la lumière du jour pendant encore une heure.

La première partie de la descente est dure pour les genoux à cause du froid poussé par le vent. Par contre, la vue est magnifique et le chemin n’est pas très technique. Je compte quand même chaque centaine de mètres sur mon altimètre et je fais une petite pause de 20 secondes à chaque « compte rond ». Sur certains arrêts, je me fais un petit plaisir culinaire. J’essaie de vider ma réserve alimentaire du jour avant d’arriver à la base vie. J’ai hâte d’atteindre la zone des 2100m pour retrouver la protection des arbres, quitte à perdre la lumière du jour.

Jeu 19h56, 2060m : j’arrive au village de Cheneil qui se trouve sur un plateau accessible uniquement à pied. On y voit une auberge assez grande, des jeux pour les enfants, un enclos pour des chevaux. Ca a l’air d’un coin vraiment sympa pour passer des vacances. Juste avant d’entrer dans la forêt en bas du village, je passe à côté de quatre chevaux. Je leur dis bonjour en français…
Les 500 mètres de descente restants sont faciles. Le chemin de sous-bois est molletonné. Les pierres et racines sont rares. La température douce libère mes genoux et je peux dévaler tout cela. J’essaie de me retenir un peu quand même. La course n’est pas terminée et un accident est si vite arrivé en cas de relâche.
















































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