Valgrisenche - km 48

Pour cette première base vie, j’opte pour manger (deux plats de pâtes), puis douche, puis dodo pendant 3 heures. Au final je n’ai du dormir qu’une heure et demi puisque la douche m’a trop revigoré et … ces @é%ç3#!@  de coureurs qui déballent et remballent la totalité du contenu de leur sac suiveur dans le dortoir (bruit + lampe frontale) au lieu de le faire dans un autre lieu illuminé et sans dormeurs. Enfin, c’est le métier qui rentre ; je noterai une nette amélioration dans les bases de vie suivantes.





Lun 4h30 je me lève, je prépare mon sac (bouffe, « fiche de rando » suivante, PQ, reset chrono) et je vais manger un petit déjeuner de sportif : 1 compote et deux tartines au miel. Check météo : que du beau temps. 5h00 je sors dans la nuit avec 15 minutes de retard sur mon planning. Pas grave me dis-je. Mon genou gauche me fait un peu mal ; douleurs pas inquiétantes de démarrage. Direction col fenêtre, 3h30 d’ascension prévus au programme : 1192 m D+ répartis sur 12 km.

Je grimpe 400m de D+ et je double un couple de japonais à 05h50. Attention à l’euphorie matinale. Je me surprends à faire du 660 m/h au lieu des 500 prévus. Je calme donc un peu le rythme en attendant que le soleil se lève. J’évolue sur du chemin dans les bois avec quelques rochers et quelques racines ; de nombreux replats pour relancer. C’est très agréable.


Lun 6h13, 2200m d’altitude. Ciel étoilé sans nuage avec un magnifique croissant de lune ; quel bonheur ! Pour parfaire le tableau, la lumière du soleil commence à souligner les contours de la crête d’en face.

Lun 6h50, 2410m : petite pause Haribo ; je me retourne et je prends un instant pour admirer le lac Beauregard et son barrage qui se situent à 1700m d’altitude !

J’arrive au chalet de l’épée à 7h00. Ambiance chaleureuse ; on rentre dans une auberge surchauffée qui offre thé, café, biscuits, raisins, abricots secs. Même des gobelets en plastique, le luxe ! Je n’y reste que 5 minutes de peur d’avoir trop froid en ressortant trop tard.

Lun 7h19, à peine les 350m de grimpette commencés pour passer le col, je le vois déjà 2.5 km devant, donc à une heure pour moi. Je dépasse 2 coureurs italiens qui marchent tranquillement.

Lun 8h15, 2854m : je bascule dans une descente tellement raide que même en faisant de foulées très courtes (de la longueur de mes pieds) je fais quand même des petites pointes de vitesse à 1200 m/h ! C’est un sentier mono file en lacets qui nous descend de presque 700m en 2 km.

Lun 9h00, 2130m : on passe une cabane et on entame un beau sentier de traverse. Le soleil commence à nous réchauffer et la vue est magnifique. Rhèmes est juste en bas.

Lun 9h34, 1738m : arrivée au ravitaillement de Rhèmes-Notre-Dame. Je vois trois coureurs monter dans le bus, puis un autre qui n’arrive à rien avaler.  Je me dis que j’ai de la chance d’aller plutôt bien et de pouvoir manger tout ce que l’organisation nous propose. Je me limite à une pause de 20 minutes. J’avais prévu une heure pour y faire une sieste, mais comme il est trop tôt, je décide de reporter le repos du guerrier à mon arrivée aux Eaux Rousses, vers 15h30. Je repars donc avec 2 heures d’avance sur mon planning.

Direction le premier col à plus de 3000m : l’Entrelor, 1264 m à grimper. Je sens les ampoules qui se confirment ; au moins c’est symétrique : les 2 pieds me donnent la même sensation. Ma première course de la saison 2012, le Verbier St Bernard s’était soldée avec deux énormes ampoules sous les avant pieds. Mais au moins la course était terminée après 110k. Ce n’est pas le cas cette fois ci et cela m’inquiète. Dans quel état mes pieds vont-ils finir ? J’ai choisi de mettre de la NOK plutôt que de demander au support médical de me mettre des pansements, comme je vois pas mal de coureurs le faire. Je n’ai jamais fait panser mes pieds car je crains qu’avec la transpiration ça ne tienne pas ou que ça me fasse des frottements.

On commence par un monotrace qui nous emmène dans une forêt de sapins, sur un sentier de 2 mètres de large avec 1 ou 2 rochers de temps en temps. Nous entrons dans le Parc National du Grand Paradis. Les arbres tombent bien, moi qui avait peur du cagnard de fin de matinée. En sortie de la zone boisée, une heure plus tard, nous longeons un torrent. J’en profite pour tremper un bandana que je me mets sur la tête avant d’attaquer la section de haute montagne sous le soleil. J’ai rejoint mon ami Alain avec qui nous avons commencé la course; nous discutons 15 minutes et je passe devant juste après le Plan de Feye à 2393 m. Si j’ai bien compris, Feye veut dire mouton en patois valdôtain. Les toits en voûte sont « couverts » par la montagne, ce qui offre une protection efficace contre les avalanches.

Lun 12h21, 2780m : section haute montagne très minérale. La pente se fait très raide ; il ne reste qu’un peu plus de 200 mètres à grimper. Les 100 derniers mètres sont si raides que je sens l’attache de mon tendon d’Achilles droit avec mon talon me tirer un peu. Douleur aigüe et profonde à la fois. Pas trop douloureux en fait, mais bizarre ; je ne la connais pas celle-là. Je remarque que la terre du chemin ressemble à une espèce de ciment humide. Au niveau de mon souffle, tout va bien, même à 3000m que j’atteins à 12h45.

Lun 12h50, 3000m : après un moment de contemplation du panorama sur le massif du Grand Paradis par grand ciel bleu avec seulement 3 nuages parfaitement blancs au-dessus des plus lointaines crêtes, j’entame les 1348 mètres de descente vers Eaux Rousses. Je calcule qu’ensuite j’en aurai pour 1642m d’ascension pour atteindre le col du Loson. J’ai l’impression que ces 2 premiers jours sont une espèce de bizutage ; une sélection des coureurs « raisonnablement » solides et qu’après ça va se calmer. Je ne pouvais pas me douter de la suite, qui m’apprendra que chaque jour réserve son lot de surprises.

Je deviens philosophique : certes, il fait froid, c’est dur et la montagne a parfois l’air austère mais elle est aussi magnifique. Alors je dois choisir : sois je subis les difficultés, sois je PROFITE un maximum de cette belle journée et de cette aventure unique. Devinez ce que je choisis …

Lun 14h00 : j’essuie une attaque de négativisme au mental. Je suis inquiet pour mes pieds qui chauffent à nouveau beaucoup. J’ai peur de finir avec des pieds en lambeaux. Mais finalement, je relativise. Je n’ai pas plus mal qu’hier ; je dois juste gérer cela à chaque grosse descente. Je sens aussi le tendon de la voute plantaire à force de me crisper et de compenser. Relax Hervé ! Poses donc ces pieds normalement.

Lun 14h11, 2200m : sauvé par une étable ! C’est idiot, mais je passe devant une étable, je prends les vaches en photos, je leur parle en Français alors qu’elles sont Italiennes, j’échange un bonjour avec les touristes et … mon moral repart au beau fixe. Je me dis que c’est ce genre de moment qui justifie les difficultés du jour. Même si plus tard je venais à être vraiment en difficulté, je dois aller le plus loin possible pour ne pas louper un de ces moments. Je veux vivre chaque journée au jour le jour et si je fini, tant mieux ; sinon au moins j’en aurai profité autant que possible.

Je trouve le chemin vers Eau Rousses interminable. Pourtant qu’il est beau ce chemin balcon ! Mais ce grand U que nous faisons me porte sur les nerfs. Pourquoi ne descend-t-on pas droit dans la pente, ce serait plus rapide ! …

Lun 15h02, 1654m : enfin aux Eaux Rousses. Nous y arrivons ensemble avec mon ami Alain. Il s’agit de 2 grandes tentes alignées : une pour le ravitaillement, une pour l’infirmerie qui a quelques lits de repos tout au fond. Alain va directement aux soins. Moi je remplis mes gourdes (je fais toujours cela en premier pour ne pas oublier) puis je me restaure : soupe de pattes, pain, fromage, raisin … la routine. Après 13 minutes je demande à m’allonger 20 minutes. Très accueillants, ils me proposent un lit de camp dans la section de repos. J’y retrouve Alain qui a refait ses bandages aux pieds. 14 minutes plus tard, je me réveille avant que ma montre ne sonne. Alain préfère rester encore un peu alors je décolle.

Sommet du haut – Loson – 3296m

Lun 15h30, 1653m : avec 2h30 d’avance sur mon planning, j’entame l’ascension du plus haut col sur le parcours : le Loson – 3296m, soit 1642 m de D+ répartis sur 10.8 km. J’ai prévu de franchir le col dans 4h et 10 minutes. J’ai la pêche, comme souvent après une sieste, mais j’ai des doutes sur ma capacité à tenir sans beaucoup d’heures de sommeil ces derniers temps. On commence par une sorte d’allée au milieu d’alpage : chemin de 2m de large parsemé de gros cailloux et bordé par deux murets de pierre qui s’arrêtent un peu avant que le chemin entre dans la forêt à 1900m. Nous pouvons alors lire de temps en temps un petit panneau qui explique aux touristes ce qu’il se passe chaque mois de l’année dans la montagne.

Chemin faisant, je calcule qu’aujourd’hui nous cumulons 1200m de D+ (col Fenêtre), presque 1300m de D+ (Col Entrelor) et un peu plus de 1600m de D+ (col de Loson), ce qui nous fait 4100m de D+ dans la journée, plus les petits extras. Ajoutés aux presque 4000m d’hier, ceci confirme ma suspicion de « bizutage » les 2 premiers jours …

Je reviens doucement sur un petit groupe de 3 coureurs: une fille de Besançon un peu plus rapide qu’un gars du Japon et un Italien. Comme je les rattrape, ils me demandent de passer en tête. La fille (dont j’ai oublié le prénom) accroche un moment. Elle est très bavarde et sympa. Je sens que cette montée l’inquiète et qu’elle ne veut pas être seule. Mais comme j’entends qu’elle s’essouffle de trop alors que je monte un peu plus lentement que d’habitude, je lui conseille de ne pas se griller en allant trop vite. Elle est bien d’accord et on se dit « à plus tard ». Mon appareil photo tombe en panne de batterie. Pourquoi n’ai-je pas pris une 2ème ? Il faudra attendre Cogne. Grrrr.

La montée est longue ; à partir de 2000m nous ne bénéficions plus de la protection des arbres et le ciel est très menaçant. Les cimes sont enveloppées dans des nuages noirs. De notre côté du col, il ne pleut que 2 fois, une faible averse de 3-4 minutes à chaque fois. J’attends que la pluie se confirme avant de mettre le coupe-vent puisque j’étouffe là dessous. J’ai de la chance, pas besoin de le mettre ; je reste en maillot manches courtes, ce qui me motive pour avancer rapidement afin de rester chaud. Par contre, j’apprendrai plus tard que de l’autre côté du col au même moment, il grêle…

Sur la montée, je rattrape une dizaine de coureurs avec qui j’échange quelques mots quand ils le veulent bien. Je retrouve aussi mon amie Claude qui souffre d’insomnie : elle n’a pu dormir qu’une heure au chalet de l’épée depuis le début de la course ! Pendant que nous discutons, nous remarquons qu’un troupeau de bouquetins nous observe ! Je n’en avais jamais vu autant : une bonne douzaine, à moins d’une centaine de mètres de nous. Vraiment pas sauvages ces bêtes !

Je pars devant pour retrouver une vitesse plus naturelle pour moi. Je monte bien pour l’instant. Personne ne  m’a doublé en montée de toute la journée. Sur le Loson; il y a juste un couple d’Italiens qui monte au même rythme que moi, mais qui reste derrière. Nous sommes passés d’une zone d’alpages et de roches à une zone de roches seules, pour finir à partir de 3000m avec un mélange de roche + gadoue.  Les 200 derniers mètres sont particulièrement pentus. Il faut temporiser. Je rattrape encore deux coureurs et j’atteins le col à 19h45, avant la nuit et toujours avec 2h30 d’avance sur mon planning. Ce n’est pas la grêle qui m’accueille mais le soleil qui se couche entre quelques nuages.

Lun 19h45, 3296m : je suis toujours en t-shirt, j’ai la pêche. Il ne reste plus que 30 minutes de jour alors j’enchaîne sur la descente, qui commence très dur. Le sentier est très pentu et humide. J’agrippe une main courante de type balcon avec beaucoup de gaz et je passe devant un bivouac héliporté. Les deux bénévoles me disent bonjour et me demandent si tout va bien ; si je veux boire quelque-chose. Il me reste encore assez d’eau pour atteindre le prochain « ristoro » Vittorio Sella à 2585m alors je les remercie et j’enchaîne pour profiter du jour.

3080m je rejoins un coureur qui descend en arrière. Il ne s’agit pas d’un souci de releveur. C’est son genou droit qui ne tient plus. Il a déjà fait prévenir les gens du refuge qu’il a besoin de secours. Je lui dis donc que je vais renforcer le message si besoin. J’arrive au refuge un peu avant 21h. Il fait nuit noire et je n’ai pas croisé les secours. Donc je trouve le responsable et je lui explique la situation. Pendant mes 15 minutes de pause au refuge, je vois qu’ils s’organisent et partent à pied à la rencontre du coureur en détresse. Ils ont l’intention de le faire monter au bivouac héliporté. Je suis rassuré : la situation est prise en main.

Je repars dans la nuit pour une descente que j’ai trouvée immonde. Une espèce de vielle route / vieux chemin, coupé tous les 20 mètres par un bloc de béton qu’il faut enjamber. Puis du chemin avec encore du béton. Quand il n’y a pas de béton, c’est de la roche avec d’énormes marches à descendre. Ensuite les mêmes blocs de béton sur une piste interminable dans les bois. Plus de 2 heures de cela et nous arrivons à Cogne … et bien non, le village dans lequel nous arrivons vers 23h00 s’appelle en fait Valnontey (1674 m), il n’y a personne et il nous reste 3 km à faire pour atteindre la base vie à Cogne, 90% de bitume. J’étais de si mauvaise humeur à Cogne que j’aurais bien cogné la personne qui a conçu cette section finale ! Mais bon, c’était ma faute si cette partie m’a surpris. 



























Aucun commentaire: