Courmayeur - km 0

Dim 9h40, 1224m, Courmayeur, Place Abbé Henry : grosse ambiance de fête : costumes, musique, speaker italien surexcité, applaudissements de la foule, hélicoptères. Je reçois des SMS d’encouragement de mes amis. Je réponds et il me vient l’idée de créer une liste de destinataires pour leur envoyer de mes nouvelles de temps en temps pendant la course. J’ai pris mon vieux Nokia qui n’a pas tous mes amis en mémoire. Je fais avec ce que je trouve. A peine terminé … go on est parti ! Enfin ! C’est comme une libération.



Il fait beau : à peine quelques nuages blancs. Ils annoncent des orages lundi ou mardi. Pourvu que la météo ne nous pourrisse pas la course comme sur l’UTMB 15 jours au paravant.

Presque tout le monde court. Je pars tranquille comme prévu : j’alterne marche rapide et course lente. 1.5 km de bitume, une bonne partie sur la Strada Vittoria, on passe sur un pont qui traverse la A5 et on attaque la montée du Col de l’Arp : 1350 m D+ au programme. A l’entrée du chemin nous avons un petit embouteillage. C’est l’occasion de faire une petite pause technique. Je fais la connaissance d’Alain qui commence lentement comme moi. Nous nous croiserons moultes fois durant la course.

A 11h30 je suis avant dernier. Alain est parti devant. Derrière moi il y a un gars bizarre qui fumait un cigare au départ de la course et qui arrive à supporter un K-way par cette chaleur. La Scopa (coureurs balai / secouristes) nous talonne. Je suis serein : je vais bien. Mon altimètre indique que nous montons un peu plus vite que les 500 m D+ / h que je prévoyais comme moyenne pour ne pas me blesser (ma vitesse de pointe étant 1070 m D+ / h sur chemin bien pentu). Légère douleur au genou droit ; je raccourcis un peu ma foulée et ça passe. A surveiller. Il s’agit de mon genou non opéré qui m’avait fait boiter 20 heures pendant ma course Verbier St Bernard 2012. Nous sommes encore dans la zone boisée : pas mal de piste forestière à gravier. Je profite du point de vue sur le Mont Blanc. On voit encore Courmayeur en bas.

Midi sonne. Je suis à 2120 mètres d’altitude. Je me sens bien. Mon cardio varie entre 125 et 140. Je reprends Chris, un américain de Floride qui me raconte que faute de dénivelé, il s’est entrainé en tirant un pneu de 4x4. Il souffle comme un bœuf à cause de l’altitude. Ce sera un des premiers à abandonner à La Thuile. Dix minutes plus tard je rattrape six coureurs sans vraiment essayer. Tout va bien ; j’ai bien géré le départ. Maintenant il ne me reste plus qu’à appliquer ma stratégie de course: prendre chacun des 7 segments de la course séparément; garder une heure de marge sur les barrières horaires et utiliser tout le temps gagné à dormir la nuit pour profiter de la vue en journée.

Passés les 2200 mètres d’altitude, on voit de très loin le col de l’Arp, notre premier col à plus de 2000 mètres d’altitude sur les 25 proposés sur cette course.

Dim 12h53, altitude 2571m : arrivée au col de l’Arp, soit 3 minutes d’avance sur mon horaire prévu … pas mal la précision ! On redescend le long d’une rivière dans le vallon de Youlaz ; alpages, randonneurs, une famille joue avec un cerf-volant, beau ciel bleu : tout va pour le mieux. On court longtemps sur une piste ; ravitaillement à 2000 m, un peu de chemin puis de route forestière. J’entends les discutions d’un groupe de coureurs qui me rattrape. J’accélère … erreur ! Heureusement pour moi, une petite fontaine m’incite à faire une pause. Je vois passer 4 coureurs qui sont en fait des jeunes tous frais qui ne font pas la course. Je me promets à nouveau : « Hervé, tu fais la course avec les autres et non pas contre les autres ; et surtout… à ton rythme. »

A 14h00 commencent 30 minutes de route goudronnée en lacets. Personne avec qui discuter. Puis 10 minutes de chemin en balcon pour rejoindre la Thuile. Ouf ! J’y arrive avec 6 minutes d’avance sur mon horaire. Je m’assois et je mange 4 bouts de pains, 2 soupes, 3 bouts de chocolat, 3 bouts de fromage. Je repars après 14 minutes d’arrêt.



Haute Route #2

C’est ici que nous rejoignons le parcours de la Haute Route #2, dite « Route Naturaliste »,  qui nous fera traverser les territoires du Parc National du Grand-Paradis et du Parc Régional du Mont-Avic. Sur le site officiel de tourisme de la vallée d’Aoste, ce parcours est décomposé en 14 étapes pour les marcheurs :

http://www.lovevda.it/turismo/proposte/sport/escursionismo/alta_via_2_f.asp?tipo=mista&pk_tour=40 

Surprise, contrairement à d’habitude après un ravitaillement, le doute m’envahit. J’ai peur de ne pas tenir le rythme toute la journée. Je ne me suis accordé une baisse de 1 km / h en vitesse horizontale qu’à partir de Planaval que je prévois d’atteindre à minuit. Je n’ai pas beaucoup de marge sur les barrières horaires. Je calcule que j’ai 5 heures de progression de nuit à faire avant de pouvoir dormir. La lutte contre le sommeil n’est pas mon fort. Si je ne tiens pas mon planning, je vais sans doute devoir sacrifier du temps de repos. Allez, ça suffit ! On verra. Je gèrerai chaque jour en son temps. De toute façon cette course est une aventure ; rien n’est garanti… Et je compte bien sur le support moral de mes amis par SMS et sur la pression de me savoir suivi par Internet.

Je fais un bout de chemin avec Philippe, un coureur très bavard, au fort accent Belge. Son frère fait aussi la course. Il est devant. Je suis plus rapide que Philippe en montée, alors après un moment je pars devant en souhaitant que nous nous croisions à nouveau.

Dim 16h00, altitude 1800m, km 24. Dans les bois, nous remontons une rivière que nous traversons plusieurs fois sur des petits ponts en bois. Le chemin est bordé de fougère ; il est facile, très familial. Nous croisons beaucoup de touristes qui nous encouragent « bravi ! bravo ! » Ca devient fatiguant parce-que je me sens obligé de leur répondre. Ce sera le seul jour de la course ou nous en croiserons tant. Petite averse de 3 minutes seulement, juste de quoi nous rafraichir. Le ciel n’a pas l’air menaçant.

Dim 17h00, altitude 2200m. Les arbres se font plus rares. Le début de la zone de haute montagne se fait sentir. J’ai dépassé une équipe de 3 italiens, dont un qui semblait en difficulté. Puis 3 japonais, puis 1 chinois qui faisait une pause pour se restaurer.

Dim 17h46, 2500m, petite pause au refuge Deffeyes, au pied du Passo Alto, 2ème col du jour à 2857 mètres. Météo variable : un peu de gris, puis un peu de soleil. Quelques gouttes de pluie. J’avale un bouillon, un peu de pain et de fromage et je repars après un remplissage rapide de mes 2 gourdes. Le reste de l’ascension reste sur un sentier très rocheux, classique en zone de haute montagne, mais aussi très vert jusque dans les 100 derniers mètres. En traversant l’alpage du Rutor et la combe des Usselettes, je commence à penser à mon organisation à la première base vie ; elle est pourtant encore loin. Prendre une douche, oui, mais avant ou après avoir dormi ? Avantages … inconvénients … j’ai bien le temps de méditer sur cette grande question existentielle.

Je rattrape Claude, dont je reconnais de loin la démarche particulière. Elle me précédait dans la descente du col de l’Arp. Elle va plus vite que moi sur le plat et en descente. Son expérience est énorme: accompagnatrice de montagne, elle y passe donc sa vie et elle a fait un paquet de courses, dont la PTL. Nous apprécions tous les deux le calme par rapport à la foule des randonneurs du bas qui nous encourageaient sans cesse.

18h54 : arrivée au col de Paso Alto. Un coureur sympa prend une petite photo de moi et j’entame les 840 mètres de descente vers Promoud.

Même si les descentes sont toujours plus rapides que les montées, je les trouve toujours plus longues. Pour préserver mes jambes je fais une petite pause de 30 secondes à chaque 100 mètres descendus.

Dim 19h50, altitude 2200m : mes pieds chauffent un peu alors je m’arrête sur un beau rocher plat et je repasse une couche de NOK (crème anti-frottements très efficace). Je remarque alors de petits points noirs sous l’avant-pied gauche (métatarses). A surveiller …

Bonne nouvelle : ça fait dix heures que je cours et je n’ai toujours pas mal aux genoux. Mon allure modérée de début de course et ma foulée raccourcie et économe y sont pour beaucoup je pense. Je m’efforce toujours de progresser sans effort et avec fluidité.

20h10 : ravitaillement rapide à Promoud. J’y croise des regards fatigués. La nuit tombe, je ne m’y attarde pas : gourdes, bouillon, fromage, pain, raisin, go ! Je prends le pas d’un coureur grand et fin, tout de blanc vêtu en Salomon. Nous montons 400 mètres de dénivelé ensemble. Il me paraît increvable mais pourtant il s’arrête pour faire une pause. Je venais juste d’allumer ma frontale car j’aime bien retarder ce moment autant que possible, surtout en montée où ça ne craint rien.

Dim 21h00, altitude 2500 mètres : je rattrape un autre coureur qui baille … finalement, moi qui pense toujours avoir plus de mal que les autres la nuit, il semblerait que je suis dans un bon jour. Mais d’expérience je sais que je ne dois pas trop me couvrir : avoir chaud me coupe les jambes. Je suis donc toujours en maillot manches courtes, mais je porte aussi un bandana autour du cou ; cela protège la zone de la carotide, qui comme la tête et les aisselles est une zone de perte de chaleur importante.

La vue, même de nuit est superbe. Il y a encore quelques frontales de l’autre côté, dans la descente du Passo Alto. Peut-être que l’un d’eux est Philippe, mon pote Belge.

21h22, 2645 mètres : surprise : une main courante bleue en pleine nuit. Je ne vois personne devant ; les gars que j’ai dépassés sont loin. Je me sens un peu seul pour franchir un passage dangereux. Je me lance et trouve que finalement c’était plutôt facile. Je vois des frontales devant pas si loin. Mais l’orage aussi n’est pas loin : nous avons 2 ou 3 éclairs par minutes. Pas de tonnerre. Pourra-t-on échapper au déluge ? Elle est vraiment spéciale cette première nuit. En tout cas ça me tient bien éveillé et même si la température baisse, je me sens très bien. Je dépasse 3 gars ; l’un d’eux vomis…

Dim 21h45, 2829 mètres : je passe le col de Crosaties, avec 2 minutes de retard sur mon planning de course. J’ai « rattrapé » 13 minutes sur la montée, mon point fort quand elle est bien raide comme celle-ci. Je suis toujours en manches courtes alors que tous les coureurs que j’ai repris sont en coupe-vent. Finalement je ne suis pas aussi frileux que je pensais.

Je bascule vers Planaval, 1312 mètres de descente au programme. Je prévois d’y arriver à minuit. Je descends avec deux italiens ; je ne comprends pas ce qu’ils se racontent mais ils sont très bavards ! Nous perdons les basiles … attention vigilance ! Erreur vite rattrapée à trois plus un gars derrière qui nous pointe le chemin. Ca nous évite de revenir sur nos pas jusqu’à la dernière balise, comme le veut la « procédure ».

Dim 23h07, 1980 mètres : je n’ai toujours pas sommeil. Comme beaucoup, je suis moins à l’aise en descente la nuit. J’ai discuté un moment avec Denis, un parisien qui a du mal en descente. Mes genoux me font un peu mal devant, au dessus de la rotule. C’est une douleur de fatigue sans conséquence. Je fais une courte pause, je mange un bout de barre énergétique et je repars en ralentissant  juste un peu.

23h30 : début de 2.5 km de route goudronnée vers Planaval… une marche rapide s’impose pour préserver la machine. Quelques pas de course pour varier. Je me sens très bien et suis un peu surpris de ne pas me faire doubler. Je n’ai toujours pas sommeil et mes jambes sont nickel. Je suis boosté par 4 SMS d’encouragement d’amis qui allaient se coucher et qui m’ont promis de me suivre demain au travail … et oui, demain lundi les gens normaux vont au boulot ! J Il pleut un peu, mais si peu que je reste en t-shirt ; j’ai même eu un peu chaud pendant la descente.

23h43 : arrivée à Planaval. Restauration rapide : gourdes, un bouillon, un thé, pain, jambon, fromage et je vois un Français bavard qui s’élance, alors j’accroche. Après une heure de marche rapide sur piste vallonnée, dont un partie très agréable le long d’un ruisseau, j’arrive à Valgrisenche à 00:52, soit 23 minutes en avance sur mon horaire prévu après presque 14 heures de course. Par contre mon ami Philippe le belge arrive à 04h39 et abandonne.




























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